Chroniques

par laurent bergnach

Nikolaï Rimski-Korsakov
Золотой Петушок | Le coq d’or

1 DVD Bel Air Classiques (2018)
BAC 147
Alain Altinoglu joue Le coq d'or (1909), dernier opéra de Rimski-Korsakov

Entre 1895 et 1907, Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908) compose onze opéras que le siècle nouveau redécouvre, notamment grâce à de précieuses captations audiovisuelles [lire nos chroniques des DVD Sadko, La fiancée du tsar et La Légende de la ville invisible de Kitège…]. En parallèle, il s’attèle à rédiger Chronique de ma vie musicale, autobiographie débutée en août 1876, que l’auteur présente comme « désordonnée, point toujours également précise, écrite dans un style ingrat, et souvent même fort sèche », mais qui « ne contient que la vérité, et c’est ce qui constituera son intérêt » (Fayard, 2008).

Le créateur n’y évoque pas les dix-huit derniers mois de sa vie, ni son ultime ouvrage lyrique, Le coq d’or, dont le livret de Vladimir Bielski, véritable charge contre l’autocratie, s’appuie sur le conte en vers éponyme de Pouchkine. C’est son fils Andreï (1878–1940), musicologue et premier biographe, qui renseigne sur cette période, des premières esquisses de l’œuvre en octobre 1906 jusqu’à l’achèvement de l’instrumentation en août 1907. L’angoisse du musicien de mourir avant la fin du travail (« ce serait horriblement bête et vexant ! ») s’avère donc infondée ; en revanche, le bras de fer avec la censure tsariste, à l’aube du printemps 1908, conduit à une création posthume, le 7 octobre 1909, au Théâtre Solodovnikov (Moscou).

« Pour moi, expose Laurent Pelly, Le coq d’or est avant tout le rêve de Dodon. Nous assistons au déclin et à la folie sénile de ce tyran imbécile, qui, tout compte fait, ressemble à tous les hommes ». Filmée en décembre 2016 à La Monnaie de Bruxelles, sa mise en scène nimbe d’un merveilleux assez sombre ce tsar calamiteux. À l’instar de nos rois fainéants, qu’une imagerie d’Épinal représente moelleusement allongés, Dodon a troqué son trône contre un lit confortable. La tapisserie rassure quand inquiète le sol fait d’une montagne de gravats – décors de Barbara de Limburg. Ce fantoche va devenir la proie d’une tsarine aux scintillements de sirène (réminiscence homérique ? mythologie slave ?), laquelle attend près d’une nasse géante munie d’un dard. Tout ceci va à l’essentiel, de manière efficace.

Malgré quelques rares soucis de justesse, Pavlo Hunka (Dodon) ne dépareille pas d’une distribution fort aimable. Dans son entourage direct, Alexeï Dolgov (Gvidon) et Konstantin Shushakov (Afron) sont vaillants, Alexander Vassiliev (Général Polkan) bien sonore, tandis qu’Agnes Zwierko (Amelfa) réjouit par un grave très sûr. Venera Gimadieva (Princesse de Chemakha) séduit sans réserve, avec un soprano très souple et toujours onctueux. Alexander Kravets (Astrologue) plaît également, mais l’on regrette ses aigus en voix de tête plutôt qu’en voix mixte. Enfin, depuis la coulisse, Sheva Tehoval s’empare sans faiblesse d’un rôle-titre incarné par la danseuse Sarah Demarthe.

En fosse avec l’Orchestre Symphonique de La Monnaie, son directeur musical Alain Altinoglu favorise malheureusement une sensualité du rubato plutôt que du timbre. De fait, son interprétation s’avère terne et sans profondeur, voire soporifique dans les pires moments. C’est d’autant plus dommage que l’ouvrage n’est pas le plus enregistré, et que la coproduction du Châtelet avec San Francisco reste un concurrent sérieux [lire notre critique du DVD].

LB