Chroniques

par bertrand bolognesi

Noël Balen
Música cubana

Fayard (2006) 244 pages
ISBN 2-213-62232-9
Música cubana, par Noël Balen

Contrebassiste, compositeur et journaliste, Noël Balen (né en 1959) est l'auteur de plusieurs ouvrages sur la musique, comme L'Odyssée du jazz, Billie Hollyday, Django Reinhart, Charles Trenet, Les grandes voix du jazz et Histoire du Gospel et le negro spiritual, ainsi que de plusieurs récits policiers. Avec Música cubana, il dresse un portrait documenté, passionnant et quasi amoureux des musiques de l'île, prenant la peine de remonter à ses sources – depuis sa découverte par Colomb (1492) – pour faire parcourir au lecteur une épopée de cinq siècles en quelques chapitres.

En précisant les diverses origines ethniques qui formeront le peuple cubain moderne – j'entends celui de la connaissance de l'existence de l'île par l'Europe, partant qu'une culture amérindienne n'attendit certes pas l'arrivée d'une caravelle pour s'y développer –, le chapitre À fleur de peau révèle peu à peu tout un ferment d'une grande richesse. Force est de revenir alors sur l'épisode de l'esclavage, amenant sur place un million d'africains (venus du Ghana, du Bénin, Cameroun, Gabon, Nigeria, Congo, Angola, et appartenant aux groupes Yoriba, Bantou, Carabalí et Arara) entre la fin du XVIe siècle et celle du XIXe. Les données historiques et politiques de Cuba traceront les grandes lignes du sujet du livre dont un des aspects sera d'expliquer très précisément les causes du rayonnement de la figure de la Vierge, rayonnement du à des métissages qui assimilèrent peu à peu aux saints chrétiens et à la Vierge les orishas, ce qui induit la naissance de tout un cortège de divinités rassemblant les croyances noires aux blanches.

Exposant les procédés grâce auxquels les tambours batá invoquaient les orishas dans la tradition yoruba, le tambour kinfuiti des initiés bantous, ou encore les cérémonies carabalí plus sophistiquées, l'auteur nous conduit petit à petit au baile de maní, une danse de combat s'apparentant à un art martial que seuls les hommes pratiquaient, et au garabato, danse pratiquée par les ouvriers agricoles. Si l'on a perdu beaucoup de ces expressions, certaines ont trouvé dans l'esprit de la fête et principalement du Carnaval, importé d'Europe, moyen de perdurer jusqu'à nos jours, telles la makuta et lacomparsa. Ces nouvelles traditions rencontreraient, avec la vague d'immigration française venue d'Haïti et de Saint-Domingue entre 1791 et 1804, les musiques et danses de salon : menuet, passe-pied, contredanse et rigaudon font alors leur entrée sur l'île. D'une rive à l'autre, second épisode de l'ouvrage, explore la tumba francesca, le cinquillo et le cocoyé, issus de ses mariages caribéens français, le punto guajiro qui fond subtilement les racines nègres aux coutumes paysannes ibériques, la mélodie guajira, le zapateo dérivé des danses flamencas, la criolla et surtout la clave, chant polyphonique issu de la tradition chorale espagnole. Une sorte d'école du piano cubain voit le jour, dont les nombreux représentants, pour virtuoses qu'ils furent, demeurent encore inconnus des Européens d'aujourd'hui.

Dans Le nationalisme musical, Balen revient sur l'histoire politique cubaine, l'intervention militaire étasunienne de la fin du XIXe siècle qui obligera l'Espagne à se séparer de sa possession, et sur toute une période de tension où l'île est économiquement colonisée par les USA, jusqu'au coup d'état de Batista, en 1952. Dans ce que l'on appellerait alors assez justement le bordel de l'Amérique naitra la rumba, clé de voûte des musiques afro-cubaines réunissant chant, danse et percussions. Suit une investigation plus détaillée des éléments constitutifs de la rumba, comme l'indolent yambú, la virtuose columbia, le fougeux guaguancó, etc.

Après avoir présenté les figures incontournables de ces années-là, comme Aniceto Díaz, Antonio Arcaño (et son célèbre Mambo), Pérez Prado, Celeste Mendoza et Enrique Jorrín, l'inventeur du Cha-cha-cha, l'auteur opère un petit retour en arrière, à l'origine du bolero, avant que d'aborder par L'invasion du Son l'un des genres le plus riches du panthéon cubain. Au fil des pages, la narration se rapproche de nous, de la résurrection des Compay Segundo, Rubén Gonzáles, Ibrahim Ferrer jusqu'aux espoirs qu'elle porte en Omar Sosa. Noël Balen conclut son livre par un entretien inédit avec Tito Puente et Celia Cruz.

BB