Chroniques

par laurent bergnach

Or, les murs (une résidence à Clairvaux)
un portrait de Thierry Machuel

1 coffret 1 DVD + 2 CD aeon (2010)
AECD 1092
Portrait de Thierry Machuel

On dit que l’esprit d’un pays se comprend à l’état de ses prisons. À l’automne 2010, en France, le Ministère de la Justice annonce un peu plus de 60 000 personnes incarcérées – nombre qui aurait doublé en vingt ans, selon certaines sources –, alors que seulement 56 000 places sont disponibles. Malgré les solutions trouvées (placement sous surveillance électronique mobile, mineurs affectés à des travaux d’intérêt général), la surpopulation carcérale est une plaie qui accentue les violences envers autrui et contre soi. Pour pallier ne serait-ce qu’un moment la promiscuité et la routine, outre la promenade, le travail, le sport, ou encore la bibliothèque, certains établissements proposent des ateliers d’écriture.

À Clairvaux, site de la fondation cistercienne, Thierry Machuel (né en 1962) a rencontré cinq moines de l’Abbaye de Cîteaux, mais surtout des prisonniers du centre pénitentiaire, avec le projet de mettre en musique certains fragments de leurs écrits sur l’oubli et la nuit. Julien Sallé saisit la parole des seconds. Face au compositeur et dos à la caméra, usant de ses propres mots, chacun évoque le quotidien de tous : la première nuit en prison, l’absence des proches, le temps qui s’arrête, la gamberge, mais aussi le parfum des roses et le chant d’un rossignol qui font parfois oublier la souffrance d’être condamné à vie. Machuel en parle ainsi :

« Les premières limites que je m’impose dans le lent travail d’élaboration musicale, c’est de partir de la voix parlée : je la prends en dictée, avec son tempo, ses rythmes, ses hauteurs, ses accents, ses accidents aussi, et c’est avec ce matériau de base, à l’état brut, que commence véritablement la composition. […] Par un minutieux montage des textes, j’ai tenté d’établir un cheminement dramatique, un parcours traversant toutes sortes d’écritures chorales, parfois plus bruitistes que musicales, avec des verrous et une plaque de tôle fabriqués par les services techniques de la prison ».

Le présent DVD garde une mince trace des répétitions et du concert pour chœur de chambre a capella créé dans le cadre du Festival de Clairvaux, mais son intégralité se retrouve – sans la mise en espace qui enfermait le public à son tour – sur deux CD qui complètent ce coffret. On y entend successivement Paroles contre l’oubli (2008) et Nocturnes de Clairvaux (2008-09), interprétés par Les Cris de Paris, suivis de pièces plus courtes – Chants de captivité, Leçons de ténèbres, Lebensfuge – qui témoignent d’émotions suscitées par ces rencontres.

LB