Chroniques

par laurent bergnach

Péter Eötvös
IMA – Kozmosz – Korrespondenz

1 CD Budapest Music Center Records (2003)
BMC CD 085
Péter Eötvös | IMA – Kozmosz – Korrespondenz

Après Atlantis (BMC CD 007), Vocal Works (BMC CD 038) et Electrochronicle (BMC CD 072), les publications discographiques du Budapest Music Center poursuivent leur exploration passionnante de l’œuvre de Péter Eötvös avec trois pièces de périodes différentes et pour des formations très diversifiées. Ici, le compositeur n’intervient pas en tant qu’interprète.

IMA (prière) fut composé en 2001 et 2002. C’est une œuvre dans le même esprit qu’Atlantis (1995), presque une suite, dans la mesure où elle souhaite commémorer une culture qui, à son zénith, est soudain engloutie. Cependant, si Atlantis donnait l’impression d’une lente exploration du passé, d’un monde devenant sous-marin, IMA est une contemplation présente d’un continent englouti. Eötvös s’est servi des vers de deux poètes, Gerhard Rühm et Sándor Weöres. Du premier, il retient l’idée de litanie, comme si dans une ancienne culture, une prière était adressée aux dieux dans une langue oubliée. Du second, il apprécie cette Genèse inspirée de la Bible, mais relatée dans une langue de sa propre invention.

Il explique : « Le ritualisme m’est naturel. Si on regarde celui-ci comme une unité absolue entre le son et les gestes, alors je peux effectivement appeler toutes mes œuvres : rituel ». Et d’ajouter que cette partition peut être vue comme « un langage Polynésien avec des influences latines ». On découvrira à l’écoute quelque analogie cérémonielle avec la gravité de certaines œuvres chorales de Nono. Par ailleurs, des résolutions particulières ne sont sans doute pas indifférentes au fait que Péter Eötvös dirigea la première européenne de The Desert Music de Reich, par exemple. Ici, c’est Sylvain Cambreling qui conduit le Chœur et l’Orchestre Symphonique du Westdeutschrundfunk de Cologne, à la Philharmonie de Cologne, en septembre 2002. On apprécie un travail soigné et nuancé, qui cependant aurait pu bénéficier d’une plus grande clarté.

Le 12 avril 1961, Gagarine est le premier astronaute à quitter la Terre et à voler dans l’espace à bord d’une capsule spatiale. Pour ceux qui virent les images de cet exploit à la télévision et dans les journaux, le monde, en un instant, devenait soudain infini ; l’impact de cet événement fut considérable sur le jeune musicien de dix-sept ans, au point d’inspirer Kozmosz (écrit en 1961, revu en 1999). La pièce commence par un Big Bang musical, suivi par une succession d’épisodes propre au développement du cosmos. L’axe oscillant de l’univers, les comètes, les pluies de météorites, sont rendus par des effets de trilles, de chœurs, etc. Eötvös intercale même une courte citation de Musique de Nuit de Bartók et interrompt sa pièce un quart de seconde avant le second Big Bang. C’est la version pour deux pianos que Götz Schumacher et Andreas Grau ont gravée ici – sachant qu’il existe une version pour cymbalum. Pleine de mystère et d’énergie, leur lecture s’avère captivante.

Enfin, Korrespondenz, composé de 1992 à 93, est une œuvre pour quatuor à cordes inspirée par la correspondance du Salzbourgeois Leopold Mozart avec son célèbre fils alors à Paris, durant la dramatique année 1778. Les instruments résonnent comme s’ils menaient des conversations. L’émotion de l’écriture et de la lecture de ces lettres, les mots, les pensées, les motivations secrètes, tout est ici dramatisé.

« L’amour du théâtre a accompagné toute ma vie, précise Eötvös. Tout ce que j’entreprends est en étroite relation avec lui. Créer un genre de théâtre à l’aide de la musique est un objectif qui ne quitte jamais mon esprit ». L’œuvre s’articule en trois scènes, avec un texte extrait de ces lettres qui a pour but d’inspirer les interprètes, sans qu’aucun mot ne soit jamais prononcé. Le livret reproduit ces phrases, ce qui permet à l’auditeur de suivre une conversation sans paroles. On pourra dire que les membres du Quatuor Pellegrini parlent Korrespondenz plutôt qu’ils le jouent...

LB