Chroniques

par laurent bergnach

Péter Eötvös
Snatches of a conversation – Jet Stream – Paris-Dakar – Improvisations de jazz sur des thèmes du Balcon

1 CD Budapest Music Center Records (2004)
BMC CD 097
Péter Eötvös | Snatches of a conversation – Jet Stream – etc.

Pour résumer cet enregistrement, on ne peut être plus précis que Péter Eötvös lui-même dans sa dédicace : « Un message dans une bouteille de mon monde à ceux qui aiment le jazz ». Dans la Hongrie des années cinquante, l'enfant qu'il était découvre cette musique sur les ondes courtes de la radio – pratique interdite par le régime, car synonyme d'ouverture à la propagande anticommuniste occidentale. Au cours des années, l'amateur s'habitue vite aux parasites, sifflements et autres interférences qui transformaient la musique en un arrière-fond sonore. Du coup, lorsqu'il assiste à son premier concert de jazz, Eötvös est déstabilisé – « J'ai ressenti comme une lacune énorme, la présence d'une sorte de vide planant » –, constatant qu'il captait bien plus d'informations dans la perturbation de son écoute à domicile. Heureusement, le compositeur a retrouvé le bruissement des ondes courtes dans la musique électronique, et le jazz, mêmeà l'état pur, continue d'exercer sur lui le même attrait.

Avec Snatches of a conversation (2001), le Hongrois recherche la liberté d’une improvisation. La trompette à pavillon double de Marco Blaauw domine la pièce, tandis qu’Omar Ebrahim, narrateur omniprésent, rapporte avec beaucoup d'esprit et d'ironie, dans un anglais expressif, des bribes de conversation amicale dans un café (ou un saloon, à entendre quelques accords métalliques qu'on dirait typiques, pourtant réalisés au cymbalum). Instrument symbolique, la trompette se retrouve également dans Jet Stream (2002), décrite comme une œuvre sur la dérive et la résistance, « aux couleurs dangereuses de jaune - bleu - argenté », avec un soliste allant à l'encontre d'un courant puissant. Markus Stockhausen y improvise la première des deux cadences pour trompettes. Après un début plutôt paisible et intimiste, Paris-Dakar (2000) tourne vite au big band couinant et klaxonnant ; László Goz, en tête de course avec son trombone à pavillon double, improvise librement.

Différents ensembles de musiciens accompagnent les solistes : musikFabrik, l'Ensemble Für Neue Musik (plage 1), le BBC Symphony Orchestra (2) et, sous la direction de Gergely Vajda, le Budapest Jazz Orchestra (3). Enfin, rien n'égalant la magie du moment pour goûter au mieux la pulsation du jazz, le disque se clôt par deux improvisations sur des thèmes tirés du second opéra de Péter Eötvös, Le Balcon : celle de Béla Szakcsi au piano, suivie de celle de Gábor Gadó à la guitare électrique – deux artistes défendus par de très nombreux disques du label.

LB