Chroniques

par laurent bergnach

récital Adélaïde Ferrière
Bennett – Donatoni – Hurel – Mantovani – Xenakis

1 CD Evidence (2020)
EVCD 067
La percussionniste Adelaïde Ferrière joue Xenakis et quelques autres

Dijonnaise d’origine, Adelaïde Ferrière débute l’apprentissage du piano et de la percussion à l’âge de huit ans avant d’intégrer, sept ans plus tard, la classe de Michel Cerutti au CNSMD de Paris. Elle y obtient son master avec les félicitations du jury en 2017, alors qu’elle est déjà lauréate de plusieurs concours internationaux. Cofondatrice du Trio Xenakis avec ses confrères Emmanuel Jacquet et Rodolphe Théry, la percussionniste et marimbiste participe à de nombreuses créations mondiales, tissant des liens avec des compositeurs dont certains apparaissent dans ce programme enregistré en solitaire. Commençons par évoquer les disparus : Iannis Xenakis (1922-2001), Franco Donatoni (1927-2000) et Richard Rodney Bennett (1936-2012).

Ingénieur de Le Corbusier qui découvre avec Messiaen la complexité rythmique des musiques hindous à l’approche de la trentaine, Xenakis laisse dans des carnets son envie de viser au dépouillement : « le contraire de la diversité et de la complexité moderne ! L’origine de la musique, c’est ça qu’il faut remettre en place. À bas la scolastique et la masse cancéreuse de la musique symphonique moderne ! À bas le bla-bla frénétique hérité d’un passé glorieux mais mort. Il faut réapprendre à toucher le son des doigts… ! C’est ça le cœur même de la musique, son essence ! (1952) (in Mâkhi Xenakis, Un père bouleversant, Actes Sud, 2015) [lire notre critique de l’ouvrage].

Avec Psappha (Londres, 1976), le théoricien de la musique stochastique dédaigne la pure rythmique et la couleur sonore, puisque ses indications concernent uniquement la matière et le registre, sans préciser le nom des instruments. Ce qui l’intéresse avant tout, c’est la variation de densité des différents groupes réunis et la grande virtuosité d’exécution. On ne se lasse pas de cette pièce, magnifique jusqu’en son silence périodisé. Pour Sylvio Gualda qui avait donné vie à Psappha, Xenakis écrit Rebonds (Rome, 1988), pièce en deux grandes sections à l’énergie diversement propagée, A (deux bongos, trois toms, deux grosses caisses) et B (cinq wood-blocks et cinq peaux). Ici, seul l’impact importe.

Autre percussionniste de légende, Maurizio Ben Omar s’était distingué dans l’univers de Scelsi, avant que son patronyme n’inspirât à Donatoni le titre d’une pièce pour vibraphone (Sienne, 1985). Dans la notice du CD, Claude Abromont juge Omar imprévisible car « constitué de deux mouvements inversés, entre la raréfaction de la matière du premier et la prolifération du second ». Nourri par plusieurs influences (sérialisme, jazz, romantisme tardif, etc.), l’Anglais Bennett, quant à lui, rend hommage à Debussy en composant, dans les années quatre-vingt, un cycle de pièces chambristes à partir de Syrinx (1913). After Syrinx II (New York, 1984) se joue au marimba, avec un raffinement que respecte notre interprète.

Nés dans la seconde partie du XXe siècle, Philippe Hurel (1955) et Bruno Mantovani (1974) complètent le programme. Hurel à intégré plusieurs fois la percussion dans son cycle Loops : le vibraphone dans Loops II (Clermont-Ferrand, 2002), pièce ludique et énergique qui s’inspire du principe d’interpolation (ou morphing), et le marimba dans Loops IV (Perpignan, 2005) dont le timbre contribue à « une forme d'intensité poétique » revendiquée par le créateur. Ce son boisé se retrouve au cœur de Moi, jeu… (Paris, 1999) où Mantovani sollicite une agilité non dénuée de nuances, jusqu’à la délicatesse, parfois.

LB