Chroniques

par laurent bergnach

récital Boris Berezovsky
La Roque d’Anthéron (2002)

1 DVD Idéale Audience International / Mirare / Naïve (2003)
DR 2104 AV 103
Boris Berezovsky, filmé le 4 août 2002 à La Roque d'Anthéron

Les Pianos de la Nuit est une collection de récitals enregistrés en public lors du Festival International de Piano de La Roque d'Anthéron en juillet-août 2002. Réalisées spécialement pour le DVD, ces interprétations virtuoses ont vocation à constituer dès aujourd'hui les archives classiques du XXIe siècle. Boris Berezovsky fut filmé le 4 août 2002.

Artiste influent du XIXe siècle, formateur d’une centaine d'élèves et l’un des initiateurs du récital consacré au piano, Franz Liszt a marqué l'histoire de la composition. Ses pièces pour le clavier ont inauguré une technique de jeu révolutionnaire et difficile dont l'instrument a tiré une palette nouvelle de textures et de sonorités – citons juste les trois volumes d'Années de pèlerinage (1836-1877), les vingt Rhapsodies hongroises (1846-1885), le Concerto n° 1 en mi bémol majeur (1849, révisé en 1853), ou encore le Concerto n° 2 en la majeur (1848, révisé en 1856-1861). Il réalise également plus de deux cents arrangements et transcriptions pour piano d'œuvres d'autres compositeurs (Schubert, Mozart, Verdi, etc.). Certaines pages tardives annoncent même Bartók, Debussy ou Schönberg.

Les études composées par Liszt sont en nombre considérable, et nous servent à mesurer tout ce que Hongrois a apporté à la technique pianistique moderne. Adaptation assez libre des Caprices pour violon, les six Études d'après Paganini (1840) sont d'une virtuosité éblouissante qui annonce ce que seront les douze Études d'exécution transcendante en 1851. Ces dernières sont en fait la version remaniée d'exercices conçus par Liszt à l'âge de quinze ans. De morceaux au départ assez vains, le génie de la maturité fait des chefs-d'œuvre de poésie – Mazeppa et Harmonies du soir sont d'ailleurs des références directes à Hugo et Lamartine –, des fleurons de la musique romantique.

Élève d'Eliso Virsaladze et d'Alexander Satz, médaille d'or du concours Tchaïkovski en 1990, le trentenaire Boris Berezovsky s'attaque donc à ce monument de virtuosité que sont les douze Études. On entre très vite dans le concert. D'emblée, on peut constater que le pianiste sait faire monter la tension (n°2), qu'il peut être tonique jusqu'à paraître sauvage (n°8), voire brutal (n°4) – au risque alors de manquer de couleur... ou de casser une corde ! Et s'il rate quelques touches, paradoxalement, ce n'est pas dans les passages les plus difficiles. Ce que nous retiendrons de ce récital – comme une leçon de fair-play –, c'est le calme, la décontraction de l'artiste qui aborde certains morceaux avec tendresse (les arpenggiandi sur le début de la troisième), une légèreté adéquate et pleine de suspens (n°5). Malgré la quantité de notes, les pianissimi existent (n°6). Le musicien nuance son jeu, avec passion et maîtrise (n°10) et atteint une gravité intérieure sans offrir au spectateur un masque de grimaces.

La souffrance d'un artiste, dégoulinant de sueur sous les projecteurs, vient parfois nous donner à réfléchir sur le bien-fondé de cette expérience : offrir un jouet très perfectionné à un réalisateur – ici Andy Sommer – dont l'ego flatté reste inconscient de ses propres maladresses.

LB