Chroniques

par laurent bergnach

récital Guillermo Anzorena
Barber – Berio – Lambertini – Mucillo – Naón – etc.

1 CD L’empreinte digitale (2017)
ED 13249
Le baryton Guillermo Anzorena chante un programme contemporain plurilingue

Célèbre membre des Neue Vocalsolisten Suttgart qu’il intégra en 1999 – ensemble qui, avec soixante-dix concerts annuels, défend dignement la musique vocale contemporaine [lire nos critiques des CD Berio, Ferneyhough et Francesconi, entre autres] –, Guillermo Anzorena débute le chant dans son Argentine natale, avec Felicia M. de Cangemi et Guillermo Optiz, puis se perfectionne en Allemagne auprès de Lucretia West, Donald Litaker, Hartmut Höll et Marjana Lipovšek. Depuis 2008, il forme un duo avec la pianiste Silvia Dabul, compatriote et accompagnatrice au jeu clair et discret, avec laquelle s’enregistre, à Paris en 2013, ce programme fort original qui célèbre les compositeurs des XXe et XXIe siècle, autant qu’Éros et Vénus.

Dominé par la langue espagnole, celui-ci invite notamment Marta Lambertini (née en 1937), enseignante connue pour avoir fait chanter, comme d’aucuns, les personnages d’Alice et de Cendrillon. Avec Tankas (1988), la native de Buenos Aires nimbe de mélancolie trois poèmes intimistes de Jorge Luis Borges. Argentin lui aussi, arrivé en France au début des années quatre-vingt, Luis Naón (né en 1961) poursuit son cycle Urbana avec Amor a Roma (1997), pour mezzo. Il revient à la poésie de son ami Charlie Feiling, mort des suites d’une leucémie l’année même de la création à Stains. À lire des mots crus et sensuels, dans trois extraits, on comprend pourquoi leur professeur de littérature, au lycée, avaient célébré leurs âmes « romantiques et anarchiques » ! Une musique implacable habille « cette pute déloyale » (Alondra de luz), tandis qu’une milonga accompagne l’invitation « à goûter à mon colostrum » (Común requiebro). Enfin, évoquons Juan María Solare (né en 1966), lui aussi passé par l’Allemagne pour parfaire sa formation (Kagel, Lachenmann, Stockhausen, etc.). Le minimalisme de Vacío blanco (2006) laisse respirer les mots de Silvia Dabul qu’on découvre également poétesse.

Le français s’entend grâce à deux pages signées Luis Mucillo (né en 1956) et Lucia Ronchetti (née en 1963). Le premier, qui fut jadis résident à la Fondation Les Treilles (Tourtour), puise dans notre patrimoine avec Dos canciones francescas (2012). Il préserve la mélodie d’À la claire fontaine et La belle si tu voulais, mais magnifie leur tristesse désolée par un environnement neuf. La seconde, que l’on sait attentive à la voix [lire nos chroniques des 6 décembre et 10 mai 2017, 26 septembre 2012 et 23 septembre 2006], trouve chez l’inattendu André Gide de quoi rendre plus fantastique encore une description de voyage en mer, avec des brisures rythmiques et formelles.

Pour leur part, Luciano Berio (1925-2003) et Salvatore Sciarrino (né en 1947) font résonner l’italien. Dans le célèbre Quattro canzoni popolari (1952/1973), l’auteur de tant de transcriptions [lire notre critique du CD] permet à Guillermo Anzorena de montrer la souplesse d’un baryton tendre et sensible, notamment dans ses attaques, sa disposition au recueillement comme à la fièvre – autant de qualités qui, outre la singularité d’un menu si personnel invitant à la découverte, conduisent notre équipe de décerner une Anaclase! à ce bel enregistrement. Pour Due nuove melodi (2003), le Sicilien emprunte les mots de Pier Paolo Pasolini (Lo sguardo velato) mais aussi ceux du chanteur Bob Dylan, dans un anglais tellement étiré que le sens de Tell me se perd délicieusement. La langue de Prokosch et Swinburne se retrouve en fin de programme, dans deux pages d’un autre temps où Samuel Barber (1910-1981) couronne l’amour comblé : There’s nae lark (1927) et Nocturne (1959).

LB