Chroniques

par michel slama

récital Jos van Immerseel et Lisa Shklyaver
Bloch – Debussy – Milhaud – Pierné – Poulenc – etc.

1 CD Zig-Zag Territoires (2014)
ZZT 358
musique française pour clarinette et piano au début du XXe siècle

Après le beau disque Made in France proposé par Pierre Génisson et David Bismuth [lire notre critique du CD], c’est au tour de Lisa Shklyaver et Jos van Immerseel d’offrir un programme entièrement dédié à la clarinette française – l’occasion d’une rencontre entre la jeune clarinettiste, enfant prodige native de Khabarovsk, deuxième ville de l’Extrême-Orient russe, et du vétéran belge du clavier. Celui qui nous a enchantés par la qualité de ses prestations en tant que claviériste ou à la tête de son Anima Eterna vient de fêter soixante-dix ans, au cours d’un concert qui préludait à cet enregistrement.

Pour l’occasion, les musiciens ont souhaité retrouver l’esthétique sonore des compositeurs au moment de la conception de leur œuvre. Lisa joue une clarinette Dolnet Lefevre et Pigis de 1930 et Jos un piano Bechstein de 1870. Ces instruments ont été plusieurs fois primés lors de prestigieux concours européens. De plus, la notice qui accompagne le CD livre une présentation très pertinente des œuvres inscrites au programme (par Jos van Immerseel) et une histoire de l’évolution de la clarinette tout aussi intéressante (par Lisa Shklyaver).

Nous retrouvons donc trois des incontournables de la littérature pour clarinette et piano, avec la Sonate de Poulenc, l’opus 167 de Saint-Saëns et la Rhapsodie n°1 de Debussy. On reste perplexe à l’écoute de ces œuvres célébrissimes. L’excellence et la virtuosité de nos artistes ne sont pas à remettre en cause. La clarinette de la jeune Russe sonne magnifiquement, mais sans passion. Alors qu’il devrait éclairer le duo et guider le bois, le piano semble particulièrement discret et modeste, comme s’il voulait retenir les élans de sa partenaire… Étrangement fermé, le fameux piano Bechstein est-il capté à la mesure des limites d’un instrument de la fin du XIXe siècle ? Les artistes semblent avoir fait l’étrange pari de dépoussiérer à outrance ces partitions, n’en préservant que le caractère analytique, quitte à en sacrifier l’émotion et la verve.

Les tempi sont alanguis – le Lento de la Sonate en mi bémol majeur de Camille Saint-Saëns (1921) est, à ce titre, particulièrement rébarbatif –, la sonate elle-même, témoignage crépusculaire d’un compositeur encore mal aimé, reste académique voire indifférente, surtout dans le lamento du premier mouvement. Les incursions de musique populaire jazzy, chères à Francis Poulenc sont traitées avec le même sérieux que les parties dramatiques de sa sonate posthume (1962). La Rhapsodie de Claude Debussy (1909) redevient un morceau de concours, comme à sa création en 1910 au conservatoire de Paris.

Scaramouche de Milhaud (1937) est une musique composée pour Le médecin volant de Molière. Le compositeur en a tiré la fameuse suite bien connue pour deux pianos, puis effectua une transcription pour clarinette et orchestre, elle-même réduite ensuite pour clarinette et piano. Jos van Immersel en propose une version qu’il a choisie de réviser. Les couleurs sont chatoyantes et la partition animée. Seul le troisième mouvement, Brazileira, reste un peu en deçà de ce qu’on attendrait d’une samba, nos duettistes demeurant toujours aussi peu débridés.

Pour compléter cette anthologie, deux très jolies pièces : la Canzonetta Op.19 de Gabriel Pierné (1888) et une œuvre inédite au disque Denneriana d’André Bloch (1940). Un peu oublié aujourd’hui, Pierné fut l’élève de César Franck et de Jules Massenet. Chef d’orchestre des Concerts Colonne de 1910 à 1934, il laisse une œuvre très riche qu’il est temps de redécouvrir [lire notre critique de l’ouvrage Correspondance romaine, nos critiques des CD Quintette Op.41 et Sophie Arnould, ainsi que notre chronique du 19 mai 2013 à propos du Concerto en ut mineur Op.12].

André Bloch (1873-1960) est un compositeur alsacien. À l’heure actuelle, il n’existe aucun enregistrement de son œuvre. Il faut donc rendre grâce à Lisa Shklyaver pour la résurrection de cet hommage à Johann Christoph Denner (1655-1707), saxon considéré comme l’inventeur de la clarinette. Denneriana est une page fort attachante, joliment empreinte de sonorités slaves et espagnoles qui mettent en lumière les qualités virtuoses de notre soliste.

Un enregistrement qui a des qualités indéniables, même si on en attendrait plus d’enthousiasme.

MS