Chroniques

par laurent bergnach

récital Nikolaï Lugansky
La Roque d’Anthéron (2002)

1 DVD Idéale Audience International / Mirare / Naïve (2003)
DR 2105 AV 103
Nikolaï Lugansky, filmé le 6 août 2002 à La Roque d'Anthéron

Les Pianos de la Nuit est une collection de récitals enregistrés en public lors du Festival International de Piano de La Roque d'Anthéron en juillet-août 2002. Réalisées spécialement pour le DVD, ces interprétations virtuoses ont vocation à constituer dès aujourd'hui les archives classiques du XXIe siècle. Nikolaï Luganskyfut filmé le 6 août 2002.

Son programme commence avec les Sechs Klavierstücke Op.118 de Johannes Brahms, sur la pièce n°1 qui brille par son expressivité. La seconde est plus délicate – la reprise apparaissant plus tendue que l'exposition – et articulée tout en préservant le moelleux de la frappe. Le pianiste la clôt dans un très grand recueillement. On retrouve un peu ce schéma sur la pièce n°4 où la discrétion, voire l'effacement de l'introduction, jouée du bout des doigts, fait place à une tension progressive. Le Klavierstück n°5 invite ensuite deux grandes figures de la musique : l'exposition du thème, après le prélude rapide, a quelque chose de schubertien tandis que la partie centrale, avec ces trilles élégamment formées, pourrait rappeler Bach. Là encore, il faut noter la délicatesse des grandes et belles mains de Lugansky à nouer ornements et appogiatures. Pour la dernière pièce, enfin, l'interprète aborde l'ouverture lisztienne avec le dépouillement des pages les plus sombres de Chostakovitch. Le thème central est joué dans une certaine sécheresse, qui en accentue l'aridité.

Vient ensuite Richard Wagner, avec quatre extraits de Götterdämmerung (Le Crépuscle des Dieux). La lumière s'éteint alors dans la salle, pour revenir petit à petit sur le duo Siegfried-Brünhilde, lorsque les thèmes se développent. Elle disparaît de nouveau sur la fin du Prologue, comme pour rendre au Voyage de Siegfried sur le Rhin, à la Marche funèbre et à L'Incendie du Walhalla qui suivront un peu de la théâtralité de Bayreuth. Les arrangements pour piano sont de Lugansky lui-même, et avec quelle lisibilité d'écriture ! Le formidable crescendo du premier extrait nous révèle immédiatement un talent à mettre en valeur des polyphonies, tandis que ses qualités de coloriste sont telles qu'on arrive à reconnaître les instruments de l'orchestre, et même les voix (introduction de L'Incendie).

Quelques bis de Sergeï Rachmaninov, pour terminer le concert (Prélude Op. 23 n°7, Prélude Op.23 n°5 et Moment musical Op.16 n°4) permettent de dire à quel point l'ensemble – et ce passage en particulier – a été intelligemment filmé par Dominique Pernoo, avec un montage toujours souple. Le réalisateur, qui a beaucoup varié les points de vus au début du concert, rallonge au fur et à mesure la durée de ses plans pour laisser s'installer l'émotion. Les gros plans sur le visage pénétré du pianiste deviennent moins systématiques et l'on se concentre d'avantage sur ses mains. C'est ainsi que la caméra saisit les moments où la gauche travaille le plus, ou encore nous donne à voir un doigté très particulier sur le premier bis : de même que son aîné Vlado Perlemuter, Lugansky ne privilégie pas le doigté le plus facile ou le plus pratique, mais le plus approprié pour obtenir la sonorité voulue. C'est quasiment une leçon de piano.

La qualité de jeu du pianiste, autant que sa grande concentration captées sur une scène ronde par une caméra qui sait se faire oublier, donnent à ce concert un caractère de proximité et d'intimité qui en fait un moment précieux.

LB