Chroniques

par bertrand bolognesi

récital Olga Kern
transcriptions de Rachmaninov – etc.

1 CD Harmonia Mundi (2004)
HMU 907336
récital Olga Kern (piano)

Après une belle livraison Tchaïkovski, la jeune pianiste russe Olga Kern explore les transcriptions de Sergeï Rachmaninov ; deux types d'exercices, en fait, puisqu'il existe dans ce disque des transcriptions proprement dites, et des extrapolations à partir d'une œuvre, sorte de paraphrase à la manière de Liszt.

Dès la Suite d'après la partita en mi majeur pour violon de Bach, l'oreille est littéralement happée par l'articulation superbement respirée de la pianiste. Par un jeu judicieusement polyphonique, elle met en valeur les différents motifs et voix avec évidence et relief, proposant un discret avant-goût du piano généreusement orchestral qu'elle offrira dans la suite du programme gravé. Dans la Gavotte, l'élégance du phrasé est remarquable, au service de nuances raffinées, tandis que la Gigue est particulièrement lumineuse. On l'entend ensuite dans Wohin ?, un Lied de Schubert, qu'elle chante avec bonheur tout en conjuguant les motifs ornementaux avec une délicatesse inouïe. Après les très colorés Lilas Op.21, elle présente un Scherzo d'après Le Songe d'une nuit d'été de Mendelssohn plein d'esprit où elle use d'une agilité redoutable mue par une souplesse d'articulation hors pair. Quelle fluidité ! Marguerites Op.38 bénéficie d'une belle clarté et d'un lyrisme discret, tandis que le sentimentalisme mondain des deux pièces de Kreisler est plus effleuré qu'appuyé. Grâce à une légèreté délicieuse, Olga Kern en tire une certaine poésie, et si cela reste de la musique de paquebot chic, alors celui-ci parcours le Styx chargé d'étoiles. Liedesfreud est abordé non sans une impertinence toute lisztienne ; la pianiste développe un son d'une opulence stupéfiante qu'elle sait colorer merveilleusement. Elle impose une suavité charmante au thème de L'Arlésienne de Bizet, et parfume subtilement la Berceuse Op.16. Le Hopak tiré de La foire de Sorochinski de Moussorgski jouit d'une force étonnante contrepointée d'un humour omniprésent. Contre toute attente, Le Vol du bourdon révèle une musicalité insoupçonnée, lui qui la plupart du temps n'est honoré que de lectures exclusivement techniques.

Enfin, outre toutes ces qualités, les deux grands moments de ce disque sont la Rhapsodie Hongroise n°2 de Liszt avec la cadence reconstituée de Rachmaninov, et les Variations Op.42 sur un thème de Corelli que le maître russe écrivit en France au printemps 1931, et qui ne remportèrent pas, lors de la création à Montréal à l'automne suivant, le succès espéré qu'elles méritent. Olga Kern présente une interprétation joueuse et dramatique, affirmant chacun des climats qui traversent l'œuvre sans omettre de donner au tout une cohérence évidente. Hiératique dans le début de la Rhapsodie, elle ne révèle que très parcimonieusement ses cartes, se gardant de tout effet superflu, en favorisant une frappe d'une précision prodigieuse qui à elle seule vient suggérer le caractère de cette page. Elle n'y est jamais brutale, offrant un accelerando quasiment imperceptible très savamment amené. La brève cadence de Rachmaninov est brillamment passionnante, complètement échevelée, marquée à la fois d'une action complètement préméditée et d'un rendu de grand improvisateur. On entend dans ce fort beau disque l'héritage de la grande école russe de piano dont Olga Kern est l'active dépositaire.

BB