Chroniques

par hervé könig

récital Quatuor Manfred
Berg – Schönberg – Webern

1 CD Zig-Zag Territoires (2005)
ZZT 041201
récital Quatuor Manfred | Berg – Schönberg – Webern

Pionniers de l'atonalité, Schönberg (1874-1951), puis Webern (1883-1945) et Berg (1885-1935) ont exploré un territoire neuf sans jamais se copier. De cette diversité d'approche est née la seconde École de Vienne. Respectant la chronologie des compositions, la première œuvre du programme est le Quatuor à cordes qu’Anton Webern écrivit en septembre 1905, à l'issue d'une première année d'étude avec Schönberg. Redécouverte en 1961 seulement, c'est une pièce en un seul mouvement, d'inspiration post-romantique – référence au modèle beethovénien –, mais qui porte la marque de l'enseignement suivi alors (contrepoint, développement, etc.). On peut y lire également l'annonce du travail sériel à venir. Cet héritage romantique n'échappe pas aux musiciens du Quatuor Manfred qui livrent avec ce disque une lecture non seulement lyrique mais aussi très inspirée.

Fruit d'une gestation plus longue (1907-1908), le Second Quatuor Op.10 avec voix est pour beaucoup une œuvre majeure d’Arnold Schönberg. La liberté que le compositeur y prend avec la tonalité se dévoile, obligeant l'homme privé – en pleine crise conjugale – à supporter également l'incompréhension rencontrée par l'homme publique, qualifié par ses contemporains de « corrupteur de la jeunesse ». Œuvre en quatre mouvements, les deux derniers comportent des poèmes de Stefan George (1868-1933) tirés d'un recueil qui venait de paraître : Der siebente Ring (Le Septième anneau). Depuis 1989, le Quatuor Manfred inclut cet opus à son répertoire. On sait que celui qu'il est convenu de considérer comme le père du dodécaphonisme restait très soucieux d'une musique avec des fenêtres ouvertes vers l'avenir, tout en se nourrissant des leçons des anciens dont certains furent honorés d'un respect solide de sa part ; l'interprétation présente s'en souvient, avec un Mässig presque brahmsien. Cela dit, les quartettistes n'en oublient pas pour autant le grand apport novateur du Viennois, comme leur lecture du Scherzo – alternant élégie et rugosité, et faisant douloureux sarcasme de la chanson Ach, du liebe Augustin ! en une couleur encore délicatement expressionniste – le démontre aisément. Plus dépouillée dans l'abord, la Litaneï s'orne d'une pâte plus dramatique dès que la voix généreuse de Marieke Koster vient dessiner le sombre paysage du poème, avec une véritable intelligence du texte. Son intervention vivifie le Manfred dont elle intensifie la prestation, faisant de l'œuvre la vedette de ce CD. Le long Entrückung final semble alors surgir des sombres fonds de Gerstl, la voix en révélant alors toute la lueur, plutôt que la lumière.

Marquant la fin des années d'apprentissage, le Quatuor Op.3 d’Alban Berg fut composé en 1909-1910. On relève déjà, dans l'œuvre du jeune homme de vingt-cinq ans, ce qui fera la spécificité de sa musique : une construction solide (esprit de variation continue, économie du matériau, maîtrise polyphonique, etc.) au service d'un lyrisme presque organique, tendu entre tradition et nouveauté. Si l'exécution est ici irréprochable, elle n'a pas la richesse de couleur qu'on aime à entendre dans cette œuvre plus complexe qu'on pourrait le croire, où Schumann doit autant que faire se peut fréquenter Mahler. Enfin, le leitmotiv du premier mouvement ne parvient jamais à obséder l'écoute.

HK