Chroniques

par laurent bergnach

récital Sibylla Rubens
Hüttenbrenner – Mozart – Schubert

1 CD Hänssler Classic (2003)
93.076
récital Sibylla Rubens | Hüttenbrenner – Mozart – Schubert

Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, cent ans avant l’âge d’or du Lied, le public s'enthousiasme pour les arias de concert, les ensembles vocaux, les chœurs. Wolfgang Amadeus Mozart compose alors chansons et mélodies dont une trentaine reste encore très populaire aujourd'hui. Nous en trouvons huit ici – dont l'aria Un moto di gioia, qui devait apparaître au troisième acte des Nozze di Figaro. Les textes sont de Goethe et Da Ponte, mais aussi d'auteurs moins réputés comme Christian Felix Weisse, Johann Georg Jacobi, Joachim Heinrich Campe, Gabriele von Baumberg, Johann Timotheus Hermes et Klamer Eberhard Karl Schmidt, tous contemporains du musicien. Le sopranoSibylla Rubens les interprète avec beaucoup de sensibilité, d'un timbre idéalement léger, dans une belle douceur d'articulation. Par exemple, Abendempfindung (KV 523) est un petit bijou.

En 1854, alors qu'il collectait des éléments pour une biographie de Franz Schubert qui ne vit jamais le jour, Franz Liszt demanda au compositeur Anselm Hüttenbrenner de partager avec lui ses souvenirs. Liszt s'adressait à la bonne personne : un ami très proche de Schubert qui, avec son frère Joseph, lui servait de substitut familial et d'auditeur privilégié lors des premières exécutions d'une œuvre. Il nous laisse un témoignage important du travail de l'artiste :

« Schubert s'asseyait à son bureau tous les matins à 6 heures et écrivait sans interruption jusque 1h de l'après-midi. Ce faisant, il fumait plusieurs pipes. Quand je lui rendais visite en matinée, il me jouait ce qu'il venait à peine de terminer et souhaitait entendre mon avis. Si j'appréciais quelque chose tout particulièrement, il disait : oui, c'est un bon poème ; il vous donne immédiatement une bonne inspiration. La mélodie jaillit de vous, c'est un vrai plaisir. Avec un mauvais poème, vous ne pouvez tout simplement pas avancer, vous vous torturez et rien d'autre ne vient qu'un résultat stérile ».

Une bonne source d'inspiration fut certainement la lecture passionnée des livres de Walter Scott, dont quatre des neufs Lieder de ce disque portent l'empreinte. Schubert était tout particulièrement satisfait d'Ellens Gesang III, une hymne à la Sainte Vierge (le célèbre Ave Maria) qui touchait l'auditoire alors que lui-même l'avait écrit sans piété véritable. Les autres auteurs convoqués ici sont Colley Cibber, William Shakespeare et Johann Wolfgang von Goethe. Cette fois, Sibylla Rubens donne une couleur plus inquiétante à son chant, sans déroger à la délicieuse juvénilité du timbre.

Anselm Hüttenbrenner (1794-1868) était de trois ans l'aîné de Schubert. En parallèle d’études de droit, il prend des cours de chant et de composition avec Salieri, à Vienne (1815). Ses premières compositions sont éditées en 1817 mais c'est après sa soixantième année qu'il compose la majorité de ses deux cent Lieder, de préférence sur des textes d'auteurs locaux (Ferdinand Gregor Freiherr von Rast, en particulier). C'est peut-être leur manque de prétention qui explique leur confidentiel passage à la postérité. On appréciera particulièrement le travail du pianisteIrwin Gage qui accompagne idéalement quatre mélodies charmantes, parfois frivoles. Les climats sont savamment construits, et la chanteuse opte judicieusement pour un ton plus proche de la romance. La symbiose est parfaite pour Der Hügel, quasi recitativo, de même dans le schumanien Lerchenlied.

LB