Chroniques

par laurent bergnach

récital Thomas Hampson
Théâtre du Châtelet (2002)

1 DVD TDK (2004) Les voix de notre temps
DV-VTTH
récital au Théâtre du Châtelet (2002)

L'anthologie de vieilles chansons allemandes Des Knaben Wunderhorn constitue pour Mahler sa plus grande source d'inspiration, tant pour ses Lieder que pour son œuvre symphonique. Achim von Arnim (1781-1831) et Clemens Brentano (1778-1842) en sont les auteurs. Pour réunir tous les matériaux nécessaires à ce projet, Brentano et sa sœur Bettina parcourent la Souabe, l'Allemagne du Nord et la Rhénanie. Non seulement ils notent alors plusieurs versions différentes des poèmes de transmission orale, mais ils dévorent des livres de prières, des chroniques anciennes et de vieux almanachs, rassemblant ainsi une énorme masse de documents. Le premier volume est publié en 1805, le second en 1808. Tous deux sont des succès colossaux, salués comme des actes de patriotisme, à une époque où les Allemands sont profondément blessés dans leur amour-propre. Le titre Des Knaben Wunderhorn (L'Enfant au cor enchanté) n'est autre que celui du premier poème. Qu'il l'ait connu ou non auparavant, c'est à la fin de 1887 ou au début de 1888 que Mahler commence à s'en servir pour son travail. Le caractère souvent inachevé de ces histoires a stimulé le musicien, alors qu'une poésie littéraire l'aurait intimidé – « comme si, à la statue de marbre sculptée par un maître, quelque peintre voulut ajouter de la couleur ».

La guerre (ses héros et ses saccages), l'amour (ses vaines séductions et ses adieux), ou encore la religion (ses faux dévots et ses visions de Paradis) sont autant de thèmes où puiser durant des années. Le premier groupe de neuf Lieder avec accompagnement de piano est composé en 1888. Suivront, en 1892, cinq autres, définis comme Humoresken, puis une dizaine d'autres jusqu'en 1901. Comme le rappelle Thomas Hampson, Mahler a pris le Lied des mains de Schubert pour le porter vers le XXe siècle.

Le baryton a regroupé les chansons choisies dans ce recueil en trois groupes. Le premier regroupe des fables mettant en scène des animaux, des paraboles à l'humour souvent mordant (la célèbre Prédiction de Saint Antoine de Padoue aux poissons, avec sa chute : le sermon leur a plu / Ils restent comme ils sont). Le second comporte des chants de soldats, des histoires d'amour sur fond de marche funèbre (le retour fantomatique du tambour et de son régiment à la maison de sa bien-aimée – glaçant Revelge). Le troisième, enfin, renferme des allégories de la vie et de la mort, s'appuyant sur des personnages entre deux mondes : prisonnier de guerre, enfant affamé, etc.

La puissance vocale de Hampson est évidente, sa souplesse aussi. En revanche, il arrive souvent au baryton de déraper (approximations dans les hauteurs, fausses notes récurrentes). Les voix mixtes sont tantôt superbes, tantôt loupées et le problème contamine les graves, parfois manquants, souvent creux (flagrant sur Zu Straßburg auf der Schantz). Son interprétation ne manque pas de violence et de hargne, mais elle est souvent d'un bloc, sans subtilité sinon grimaçante (Lied des Verfolgten im Turm).

Heureusement, malgré une prise de son axée sur le chanteur, nous ne perdons rien du travail magnifique et nuancé du pianiste Wolfram Rieger. Son piano est aussi expressif que la voix, sachant poser un paysage (sensuel début de Rheinlegendchen), être sec (Ablösung im Sommer) ou encore nimbé de brumes (Wo die schönen Trompeten blasen). Rappelons qu'il a dirigé sa propre classe d'enseignement du Lied à l'Ecole Supérieure de Musique de Munich (1991-1995) et accompagné des chanteurs tels que Dietrich Fischer-Dieskau, Brigitte Fassbaender ou Barbara Bonney.

Le récital filmé au Théâtre du Châtelet, à Paris, en 2002, est entrecoupé de petites interventions des deux artistes, dont celles de Hampson qui voit dans le Lied une métaphore de l'âme humaine, une sorte de journal intime, preuve du besoin de communiquer qui est en l'homme depuis les origines.

LB