Chroniques

par bertrand bolognesi

récital Trio Accanto
Gervasoni – Hosokawa – Pauset – Sotelo

1 CD Assai (2003)
222502
récital Trio Accanto | Gervasoni – Hosokawa – Pauset – Sotelo

Le Trio Accanto associe trois instruments dont les dissemblances se complètent et s'ingénient à créer des alliages de timbres d'une grande richesse : un saxophone, un piano, et un jeu de percussions. Né il y a dix ans, il inspira de nombreux compositeurs qui écrivirent beaucoup d'œuvres à leur intention, autant de pièces auxquelles ils ont donné le jour et qu’ils font écouter ici et là au fil des concerts.

Le disque publié par Assai regroupe les travaux de quatre musiciens. Dès le départ de De Magia de l'Espagnol Mauricio Sotelo, on perçoit une grande énergie. Si le début a quelque chose de franchement fragmenté, la suite développe une spirale labyrinthique de gammes énigmatiques, avant d'entretenir certains choix sonores dans la disparité des timbres respectifs. Certains traits semblent alors sourdre de très loin, d'une grave et inquiétante profondeur. S'installe peu à peu une période différente où se succèdent des attaques discontinues autour d'une même note obsessionnelle : il semble bien que l'on cherche ici à faire naître de l'incréé. Cela se transforme en martèlements égayés dans un nouvel espace de résonance, assez angoissant. Enfin, alors qu'on pourrait s'attendre à voir surgir l'objet magique lui-même, la pièce se déconstruit, les sonorités deviennent de plus en plus légères, et les forces infernales s'éloignent, gardant leurs secrets. On retrouve les gammes enchevêtrées trois minutes avant la fin, libres et prolixes, comme autant d'herbes folles. Les ténèbres restent impénétrables...

Vertical time study II de Toshio Hosokawa – dont le Festival d'Aix-en-Provence créera cet été l'opéra Hanjo adapté d'un des Cinq Nô Modernes de Mishima, dans une mise en scène d’Anne Teresa de Keersmaeker – a été donnée pour la première fois par le Trio Accanto à Trossingen, il y a tout juste dix ans. Cette œuvre paraîtra fort théâtralisée, après l'audition de De Magia. Le saxophone y est un personnage évoluant dans le paysage esquissé par ses deux partenaires ; force est de constater qu'avec des procédés d'aujourd'hui, le musicien explore des habitudes instrumentales classiques, comme le dialogue, l'accompagnement, la discussion, la lutte, etc. Une notion assez différente du temps pulsé perd quelque peu le mélomane occidental.

Inspiré par la poésie de Franco Fortini – qui utilise le mot rigirio pour désigner un ruminement, dit le traducteur, un tourner-en-rond dirons nous –, Stefano Gervasoni écrivit Rigirio en 2000, creusant à sa manière cette idée tournoyante jusqu'à l'insupportable. L'œuvre entretient une langueur ténue, d'une fabuleuse subtilité timbrique, pleine de suspens, de surprises savamment instillées dans le déroulement du sujet – comme l'on déroule une pelote de laine. Des motifs répétés s'y interrogent, un épisode de sonneries papillonne sur lui-même, tandis que s'affrontent prouesses et petits agacements. Tout cela semble aller de soi, sans jamais s'auto-désigner, en toute discrétion. Celle-ci, chez Gervasoni, n'est pas le silence du Nono des dernières années : elle est peuplée d'innombrables promesses informulées qui ne cède jamais à l'exhibition. Rigirio fut créé pour et par Accanto au Festival de Donaueschingen en octobre 2000.

La musique du Bisontin Brice Pauset tend d'années en années à se refermer toujours plus sur elle-même, en se gorgeant de tout un appareil de mots, comme cette simplicité complexe dont l'énigme apparente ne suscite guère la révélation. Cet Adagio dialettico vérifie on ne peut mieux cette tendance, développant quelque chose qui est bien de l'ordre de la géographie insulaire : dès qu'une promenade y prend un peu d'importance, le marcheur aboutit immanquablement au front de mer, ici à la limitation d'un espace intérieur auto-contemplé. Croyant et affirmant éviter les sonorités « tiédasses » du jazz, dit-il, le compositeur, par quelques cris appuyés et prolongés au saxophone, en rejoint cependant d'autres stéréotypes ; tout y serait-il illusion, y compris l'insularité affirmée ?...

BB