Chroniques

par samuel moreau

Ruggero Leoncavallo – Pietro Mascagni
I Pagliacci | Paillasse – Cavalleria rusticana | Chevalerie rustique

2 DVD Opus Arte (2007)
OA 0983 D
Ruggero Leoncavallo – Pietro Mascagni

Si beaucoup d'opéras de commande sont devenus des chefs-d'œuvre, il est plus rare que ceux présentés à des concours passent à la postérité. Pourtant, en 1889 (comme en 1883, en 1892 et en 1903), l'éditeur Eduardo Sanzogno ayant invité des compositeurs à présenter un ouvrage lyrique, le premier essai dans le genre de Pietro Mascagni (1863-1945) s'impose parmi les soixante-douze présentés. Créé à Rome le 17 mai 1890, au Teatro Costanzi, Cavalleria Rusticana demeurerait le plus grand succès rencontré par son auteur. La peinture contemporaine d'un dimanche de Pâques, dans un village sicilien, doit beaucoup au livret de Guido Menasci et Giovanni Targioni-Tozzetti, inspiré par l'œuvre aussi courte qu'intense de Giovanni Verga. Avec des auteurs tels Luigi Capuana et Federico De Roberto, ce dernier mit en vogue des récits ruraux dont les protagonistes, passionnés et brutaux, semblent échapper aux règles de la civilisation. Résultant de cette volonté de peindre fidèlement une réalité qui flirte avec le fait divers, le vérisme apparaît sur les scènes italiennes – et avec lui cette chevalerie rustique qui se réfère à un code d'honneur paysan.

Filmée au Teatro Real (Madrid), la production de Giancarlo del Monaco s'avère très esthétique : les silhouettes noires – amoureux tourmentés ou pénitents en procession – se détachent sur des blocs de pierre blanche. Les atouts de Violeta Urmana (Santuzza) sont nombreux : franc, évident et joliment phrasé, le chant s'avère charnu ; les attaques aiguës sont très souples et le legato bien nourri. Face à elle, Vincenzo La Scola (Turiddu) se montre irréprochable et vaillant (voir sa première intervention en coulisses) ; on peut néanmoins reprocher au ténor son manque de nuances et un grave un peu léger. Viorica Cortez (Mamma Lucia) et Marco di Felice (Alfio) se montrent des interprètes efficaces et robustes. Économe de mouvements, Jesús López Cobos les accompagne avec sensibilité et couleur. Le chœur est efficace. Dragana Jugovic (Lola) est donc la seule à nous décevoir.

Comme souvent, l'ouvrage de Mascagni est présenté ici entre le Prologue et les deux actes de Pagliacci. Voilà une autre histoire qui puise dans la réalité : selon les sources, Ruggero Leoncavallo aurait assisté, très jeune, à un macabre spectacle forain, tandis que pour d'autres, c'est son père Vincenzo qui aurait jugé un tel drame passionnel, survenue dans un village de Calabre, près de Montalto. Quoi qu'il en soit, le livret repose sur des souvenirs. Dirigée par Toscanini, la création eut lieu à Milan le 21 mai 1892, au Teatro Dal Verme.

La distribution est moins homogène que précédemment. Si Vladimir Galouzine (Canio) s'avère vaillant et coloré, avec une bonne assise grave dans l'aigu, sa partenaire Maria Bayo (Nedda) livre un chant chichiteux, mal placé, dépourvu d'espace et d'expressivité ; absorbée par ses difficultés techniques, le soprano peine à faire exister son personnage, excepté à la toute fin. De même, Ángel Ódena (Tonio) se montre peu stable et d'un timbre ingrat, tandis qu'Arlecchino, l'amant de théâtre incarné par Antonio Gandia, séduit par une voix légère et sans appui, tout en étant timbrée et fort impactée.

SM