Chroniques

par laurent bergnach

Théodore Gouvy
Trios avec piano n°2 – n°3 – n°4

2 CD Challenge Classics (2012)
CC 72571
Le trio Voces Intimae joue Théodore Gouvy (1819-1898)

Riccardo Cechetti (piano), Luigi de Filippi (violon) et Sandro Meo (violoncelle) forment le trio Voces Intimae, dont le but est de « restaurer la musique dans la pureté de sa forme originale et de rendre les véritables intentions du compositeur dans la production de leur son et leur phrasé ». Amatrice de subtilités complexes et de couleurs délicates, la formation s’est distinguée par son interprétation sur instruments d’époque de quelques romantiques, tels Schumann, Schubert, Hummel et Mendelssohn. Aujourd’hui, ils ont l’heureuse idée de jouer un créateur moins connu, Théodore Gouvy (1819-1898), avec un talent qui nous autorise à récompenser leur double enregistrement d’une Anaclase!.

Né à Goffontaine, Gouvy aurait pu naître français si la Sarre jouxtant la Lorraine n’était devenue prussienne en 1815, à la suite de la défaite de Waterloo. Bachelier en philosophie à Metz (1836), il part étudier le droit puis la musique à Paris. Mais interdit de Conservatoire du fait de sa nationalité, il suit différents cours privés, apprenant le violon avec Carl Eckert, élève de Mendelssohn, et l’harmonie avec Antoine Elwart, ancien enfant de chœur à l’Eglise Saint-Eustache pour qui être musicien c’est « avoir le courage d’écouter une œuvre qui mérite ce nom sans la juger d’après l’étiquette du sac ». À trente-deux ans, Gouvy peut enfin devenir citoyen de France, à l’instar de ses frères plus âgés. Fort d’une double culture, il est largement reconnu de part et d’autre du Rhin, mais son œuvre, essentiellement chambriste malgré six cantates (Aslega, Électre, Polyxène, etc.) et deux opéras (Le Cid, Mateo Falcone), tombe finalement dans l’oubli [lire notre critique du CD Œuvres variées et Sonates à quatre mains]

Voce Intimae choisit trois des cinq trios de celui qui les a conquis par son invention et sa maîtrise [lire notre chronique du 17 mai 2013], pour ce disque édité par les bons soins du Palazzetto Bru Zane. Dès les premières minutes du Trio en la mineur Op.18 n°2 (1847), qui mettent en lumière lyrisme et mélancolie, on saisit d’une part la double influence de Gouvy mentionnée plus haut – une carrure allemande, proche de Mendelssohn et Brahms, veinée de fantaisie latine –, d’autre part le travail d’accentuation et de nuance réalisé par les interprètes. La riche couleur d’un Pleyel 1848 introduit l’Andante qui intègre le charme de la romance sans toutefois en adopter la facilité. Avant-goût d’Offenbach et Poulenc, un Scherzo bondissant, virtuose et plein d’esprit offre un contraste un rien théâtral. Là encore, le Finale associe la rigueur germanique à un fluide panache digne d’un ballet d’opéra à la française.

D’abord d’une fraîcheur anodine, le Trio en mi bémol Op.19 n°3 (1855) s’empare de l’intensité d’une longue ballade romantique. Beethovenien, l’Intermezzo présente avec élégance un côté bonhomme. Très expressif, voire échevelé, l’Adagio laisse place à un Finale jubilatoire, musclé et brillant (annonçant Strauss ?) qui ne dédaigne pas plusieurs pauses attendries. À peine trois ans plus tard, le Trio en fa majeur Op.22 n°4 (1858) présente, sous couvert d’introduction salonarde, une personnalité véhémente et inquiète, laquelle s’affermit dans un Larghetto lyrique mais sombre. Très enlevé, trapu mais gracieux, le court Minuetto laisse place à un Finale ludique et malicieux. Bravo !

LB