Chroniques

par hervé könig

Tomás Luis de Victoria
pièces sacrées

1 CD Harmonia Mundi (2004)
HMI 987042
Tomás Luis de Victoria | pièces sacrées

Parce qu'il est né vers 1567 à Avila, là même où virent le jour Sainte Thérèse de Jésus et Saint Jean de la Croix, on a souvent prêté à la musique de TomásLuis de Victoria un mysticisme supposé qui oriente encore la plupart des interprétations qu'on donne de ses œuvres. Le personnage, pourtant, connaît bien la plus pragmatique réalité : devenu prêtre en 1575, après des études chez les Jésuites, il intègrerait la Congrégation de l'Oratorio dont la règle particulière lui permettrait de poursuivre une carrière indépendante qu'il saura faire fructifier non seulement pour bien vivre, mais aussi pour éditer ses recueils de musique le plus luxueusement qu'il se puisse à l'époque (on va jusqu'à dire que Palestrina l'en jalousait…), et l'on a retrouvé nombre de ses lettres où il n'affiche aucun scrupule à demander qu'on honore telle rémunération suite à l'exécution d'une de ses œuvres, ici ou là, et jusqu'au Nouveau Monde. Non, décidément, Victoria n'eut rien d'un alumbrado !

Un autre malentendu perdure : celui selon lequel sa musique ne devrait être chantée que par des chœurs. Pourtant, outre qu'il était alors courant qu'on adaptât des partitions chorales pour une formation instrumentale, ou tout simplement pour orgue, on sait que le compositeur lui-même fut un fervent partisan en la matière, réalisant des réécritures pour chalumeaux, cornets et autres sacqueboutes. Étant donné que cette pratique s'est poursuivit, on retrouve aujourd'hui plusieurs versions à Cologne et Londres, dans lesquelles les maîtres d'œuvre de ce disque ont puisé leur inspiration.

Ainsi, l'auditeur rencontrera-t-il avec bonheur dans cet enregistrement un Victoria inattendu, où la voix du contreténor Carlos Mena est accompagnée par Juan Carlos Rivera, tour à tour au luth ou à la vihuela, et Francisco Rubio Gallego au cornet. À travers une interprétation particulièrement virtuose, le chanteur impose une présence recueillie et volontiers méditative qui invite à penser cette musique non plus comme mystique mais comme invitation à l'introspection spirituelle.

HK