Chroniques

par monique parmentier

à la cour d’Henri IV

Galerie des Batailles, Château de Versailles
- 14 décembre 2010

Doulce Mémoire est un ensemble qui porte bien son nom. Le répertoire auquel il s’attache, celui de la Renaissance et du premier baroque, possède une grâce et une élégance que le voile du temps nous rend si onirique.

À l’occasion de la commémoration des 400 ans de la mort du Roi Henri IV, le Centre de musique baroque de Versailles (CMBV) consacre à la musique de son règne une série de concerts. Ce soir, Doulce Mémoire offre un récital d’airs de cour, un répertoire si spécifique à la France et qui connut son premier âge d’or sous le règne du Vert Galant. Alors que les guerres de Religion se terminent et laissent le pays exsangue, on voit naître à la Cour qui se reforme comme dans les ruelles des hôtels particuliers un nouveau genre musical : l’air de cour. Il surgit d’un besoin de la noblesse et de la bourgeoisie des grandes villes : se sentir renaître dans un monde retrouvant la joie de partager une vie raffinée dans des cercles intimes.

La pratique instrumentale, en particulier celle du luth, mais aussi la place qu’occupe la poésie, offre la liberté de développer un art du divertissement à la séduction délicate, sensuelle et parfois même coquine. Cette musique issue des idéaux humanistes possède des sources populaires bien marquées. Sous Louis XIII, le roi musicien, ce domaine va s’épanouir grâce à trois grands compositeurs : Pierre Guédron, Etienne Moulinié et Anthoine de Boesset. C’est dans l’œuvre des deux premiers, et dans celle de Michael Praetorius pour la musique de danse, que Denis Raisin Dadre a puisé pour construire le programme du concert.

Puisque la musique renaît sous le règne d’Henri IV, pouvait-on choisir instant plus symbolique que celui célébré par le tableau aux pieds duquel s’est donné le concert, L’Entrée dans Paris d’Henri IV en 1594 ? La trop grande Galerie des Batailles n’est peut-être pas l’endroit idéal pour faire entendre cette musique de l’intimité. Tout le talent des artistes recrée ce sentiment. Ils permettent de se retrouver dans un salon aux boiseries de chêne, entre amis qui se plaisent à partager des instants précieux. Le concert commence par un air composé par Louis XIII, Tu crois ô beau soleil…, qui ouvre les portes de ce monde à la précieuse poésie.

Ainsi les quatre musiciens et les deux chanteurs font redécouvrir avec sensibilité et virtuosité toute la délicatesse de ce répertoire. Le soprano limpide et mutin Véronique Burin et le séduisant et malicieux ténor Serge Goubioud se régalent de ces textes et de cette musique si subtils. En français restitué, la noblesse de leur éloquence traduit la mélancolie d’amours qui se cherchent. Comédiens et complices, ils se jouent avec gouaille et malice, mais sans vulgarité, des propos particulièrement explicites d’un Pierre Guédron dans C’est une damoiselle ou d’Etienne Moulinié dans Espagnol je te supplie

Souriants et attentifs, les musiciens les accompagnent, offrant des couleurs mordorées aux voix. Dans les pièces musicales, Denis Raisin Dadre aux flûtes, Angélique Mauillon à la harpe, Pascale Boquet aux luth, théorbe et guitare baroque et Sylvia Abramovicz à la viole de gambe transmettent toute la vivacité de ces pas à danser. Grâce à eux, cette inspiration joyeuse invite, le temps d’une soirée, à se laisser emporter par bransles gays, courantes, gaillardes et ballets aux titres féériques… et parfois si étranges pour un contemporain.

MP