Chroniques

par bertrand bolognesi

à la découverte d’Henri-Joseph Rigel
Hervé Niquet et son Concert Spirituel

Sinfonia en Périgord / Abbaye de Chancelade et Église St-Étienne de la Cité
- 27 et 28 août 2006
Hervé Niquet impose Henri-Joseph Rigel au festival Sinfonia en Périgord
© j.j. chabert | sinfonia

Comme chaque année, le festival Sinfonia en Périgord présente sa décade de concerts sur les derniers jours d'août et les premiers de septembre, confirmant (si besoin en était) la place de véritable pôle baroque qu'il occupe en Aquitaine. Cette nouvelle édition s'ouvre par une brève résidence du Concert Spirituel que scellent trois rendez-vous. Après qu’introduites par Les caractères de la guerre de Dandrieu l'aient inaugurée les Water Music et Music for the Royal Fireworks de Händel, hier soir, la manifestation se poursuit dimanche en l'Abbaye de Chancelade qui retentit du Magnificat H.77 de Marc-Antoine Charpentier.

La voix est à l'honneur, cet après-midi. On apprécie particulièrement la couleur et la fiabilité de la basse Benoît Arnould, ainsi que la clarté dominante d'Emiliano Gonzalez-Toro (taille) au timbre exquis, même s'il se laisse souvent dominer par les entrées de chœur. La lecture d'Hervé Niquet s'affirme équilibrée et précise. Comme nul autre, il aère l'architecture solide de la musique de Johann Sebastian Bach en conduisant une Messe en sol majeur BWV 236 d'une festive fluidité. Regrettons seulement une certaine raideur des bois, notamment sur le début du Gloria. La souplesse et le phrasé de Benoît Arnould s'y révèlent encore plus efficaces. On goûte, pour finir, une interprétation presque diaphane tant elle est gracieuse, du Requiem d'André Campra, réservant au Libera me certaines attaques de cordes d'une âpreté saisissante, au Sanctus une accentuation toujours judicieuse et volontiers tonique et une légèreté presque dansante au Lux aeternam – une interprétation dont l'expressivité fascine.

Le lendemain, c'est sur Mozart que se penche Hervé Niquet. Au public il livre le fruit des recherches qu'il effectue en collaboration avec le Centre de Musique Baroque de Versailles et le CNRS sur le musicien parisien d'origine allemande Henri-Joseph Rigel, dont quelques œuvres marquèrent le Salzbourgeois. C'est une soirée symphonique que Le Concert Spirituel offre lundi à Périgueux, en l'Église Saint-Étienne de la Cité, introduite par la Symphonie en ré majeur n°7 de Rigel dont l'Allegro est fermement articulé et bénéficie d'une dynamique explosive. Le mouvement central (Andante gracioso con espressione) évolue dans une élégance volontiers contrepointée par des accents généreusement théâtraux, tandis qu'une fiévreuse tonicité, contrariée par le moelleux joliment soigné des cordes, caractérise le Presto final.

Le mezzo-soprano Sarah Jouffroy prend le devant de la scène pour deux arie extraites d'opéras de Johann Adolph Hasse et de Christoph Willibald Gluck, respectivement La clemenza di Tito et Demofoonte. Indépendamment d'un phrasé toujours bien mené, de vocalises souples et irréprochables, on se pose assez vite quelques questions quant à cette voix : l'impact du grave paraît étrangement étroit, le bas-médium peine sur les phrases descendantes et, à l'inverse, le haut-médium et l'aigu se libèrent avec une évidence qui les révèle plutôt larges. Certes, la couleur est sombre mais cela suffit-il à déduire un registre mezzo plus qu'un soprano, comme le suggèrerait un grave éteint et terne et un aigu fastueux ? À suivre... Là encore, l'orchestre se montre très tonique, son chef dessinant un paysage par touches soignées.

Après la Suite de Danses de Sabinus de François-Joseph Gossec faisant entendre dès l'abord une couleur nettement ciselée qui met en valeur une écriture plus « distribuée » qu'on pourrait dire chambriste, et à laquelle Niquet donne une joviale effervescence, précieusement dosée par l'invective mélodique, nous entendons la Symphonie en mi bémol majeur K.543 n°39 de Wolfgang Amadeus Mozart. Dans l'ensemble, l'œuvre jouit ici d'une belle énergie, d'un relief rare et de beaucoup de vie, qui ne se garde ni des contrastes ni de l'à bras-le-corps. Plus en détail, l'Adagio trouve un équilibre savamment maîtrisé, malgré quelques approximations de la part des violons ; l'impulsion des cuivres survient dans un impact délicatement fondu, de même que les ruptures harmoniques sont subtilement glissés. Si un tempo stimulant et leste est accordé à l'Andante con moto, l'Allegretto devient bondissant et joueur. Enfin, l'Allegro salue magistralement cette résidence périgourdine.

BB