Chroniques

par bertrand bolognesi

à la découverte du Sextuor d’Ervín Šulhov
Renaud Capuçon, Kim Kashkashian, Leonidas Kavakos

Jakob Koranyi, Johannes Moser et Lawrence Power
Verbier Festival and Academy / Église
- 30 juillet 2007
le jeune et talentueux violoncelliste Jakob Koranyi au Festival de Verbier
© mark shapiro

Avec des œuvres de chambres de George Crumb, Edward Elgar, Edvard Grieg, Carl Nielsen, Steve Reich, Guy Ropartz ou Henryk Wieniawski, c'est à découvrir des raretés que les Fenêtres sur l'orchestre des jeunes musiciens de l'UBS Verbier Festival Orchestra et les nombreux concerts des élèves de la Verbier Festival Academy invitent le public. De même qu'à l'exécution du Quintette Op.84 d'Elgar (au Cinéma, cet après-midi) répondra une soirée entièrement consacrée au compositeur britannique (le 4 août, sous la direction d'Andrew Davis), celle du Concertino pour flûte, alto et contrebasse d'Ervín Šulhov (vendredi dernier) se prolonge aujourd'hui par son Sextuor pour deux violons, deux altos et deux violoncelles de 1925.

Classé par l'Allemagne nazi parmi les « dégénérés », le communiste pragois Šulhov (Erwin Schulhoff) obtint la nationalité soviétique qui ne le protégea qu'un temps, puisqu'Hitler devait lui-même violer en juin 1941 le pacte de non agression que Joachim von Ribbentrop, ministre des affaires étrangères du Reich, avait signé à l'été 1939 avec son homologue russe, Viatcheslav Molotov. Ressortissant d'un pays du jour au lendemain considéré comme ennemi, le compositeur, bientôt arrêté et interné, mourrait en captivité dès 1942, âgé de quarante-huit ans.

Les violonistes Leonidas Kavakos et Renaud Capuçon, Lawrence Power et Kim Kashkashian aux altos et les violoncelles de Jakob Koranyi et Johannes Moser s'engagent dans une Allegro risoluto au lyrisme tendu. Dans une redondance lancinante, cette page pleine de danger cède la place à un Tranquillo introduit par un délicat glissando des trois cordes aiguës, sur la froide mélodie des trois graves, dans un mezzo piano subtilement maintenu. Après qu'un lyrisme plus tragique se soit élevé sans parvenir à s'épanouir, le principe du mouvement revient vite, imposant le malaise de ses vertiges et équilibres instables. L'on saluera ici le dosage redoutablement calculé de la nuance. La ferme bacchanale Burlesca qui suit n'est pas si simple : il y a encore, au plus fort de la tension, ce je-ne-sais-quoi de soyeux qui scelle le style d'Ervín Šulhov, liant une hargne rageuse à une fraîcheur d'inspiration populaire. À ce bref et brillant mouvement succède un Molto adagio saisissant de nudité. Malgré quelques soucis de justesse – la dissonance est plus exigeante encore que la consonance dont nos reflexes auditifs corrigent inconsciemment les approximations –, les interprètes soignent des demi-teintes fascinantes, dans une grande finesse expressive. On félicitera particulièrement Jakob Koranyi [photo] pour sa précision et sa grande musicalité.

Ce Sextuor était précédé des Prélude et Scherzo pour octuor à cordes Op.11 écrits par un tout jeune Chostakovitch la même année (il avait donc dix-neuf ans). À la distribution citée s'ajoutent les violonistes Sayaka Shoji et Alexandra Soumm et l'altiste Blythe Teh (au lieu de Kashkashian).Là encore, l'on goûte le solo de Koranyi, dans le deuxième mouvement, après un premier qui signalait nettement Capuçon dans une tendre mélodie. Ce concert de fin de matinée se conclut par la Sonate pour violon et piano en ré mineur Op.108 n°3 de Brahms pour laquelle Lars Vogt rejoint Kavakos.

La musique se fait à huit, à six, à deux… enfin seul, puisque la soirée se concentre sur un récital qu'Evgueni Kissin dédie en hommage à Sviatoslav Richter, disparu le 30 juillet 1997, il y a exactement dix ans. De Schubert, la Sonate en mi bémol majeur D568 ne rencontre pas une sonorité flatteuse sous les doigts du pianiste russe. Certes, l'articulation de l'Allegro moderato est élégante, de même que gracieux se feront les motifs ornementaux, mais une clarté métallique et un ostentatoire phrasé de main gauche viennent gêner ces qualités. Ce n'est qu'après avoir exagéré la sècheresse de sa frappe dans l'Andante molto que Kissin commence à raffiner son jeu, au troisième tiers du Menuet dont le chant rencontre un moelleux insoupçonné. De fait, il se révèle plus inspiré dans l'Allegro moderato final qu'il mène jusqu'aux confins du silence, prenant le risque d'une conduite dynamique étonnante.

Du coup, les viriles Trente-deux Variations Wo 80 de Beethoven n'en paraissent que plus viriles ! Avec une pédalisation parcimonieuse et malgré certains rubati largement abusifs, Kissin en livre une exécution leste et violemment tranchée dont les choix s’affirment judicieux. Mais ici s'arrête pour nous l'intérêt d'une prestation qui se poursuivit avec Brahms (Sechs Klavierstücke Op.118) et Chopin (Andante spianato et Grande polonaise en mi bémol majeur Op.22) dans des lectures qui font insulte à l'artiste lui-même dont on comprend mal, comptant à trente-cinq ans une longue carrière (puisqu'il fit ses début en 1984), qu'il affiche un goût si puérile pour la rodomontade à travers trois bis qu’il vaut mieux taire.

BB