Chroniques

par bertrand bolognesi

épisode 10 – intégrale Beethoven
François-Frédéric Guy, Tedi Papavrami et Xavier Phillips

Festival Berlioz / Église, La Côte-Saint-André
- 23 et 31 août 2014
au Festival Berlioz, intégrale Beethoven chambriste par François-Frédéric Guy
© delphine warin | festival berlioz

Après avoir « tourné » et enregistré ses trente-deux sonates pour piano et ses cinq concerti avec orchestre (à réentendre à l’Arsenal de Metz en janvier prochain), c’est désormais la musique de chambre de Ludwig van Beethoven que sert François-Frédéric Guy, avec la formidable ferveur des premières fois. Double cycle, donc, ici et là, avec une intégrale des sonates à deux, avant que de sonner bientôt les trios avec piano (etc.). Comme tout dernièrement au Printemps des arts de Monte-Carlo, le violoniste Tedi Papavrami est son complice à La Côte-Saint-André, ainsi que le violoncelliste Xavier Phillips.

En mission de dix jours (pour ainsi dire) au Festival Berlioz, nous assistons au tout premier rendez-vous de ce cycle et à sa conclusion, une semaine plus tard. C’est donc avec la Sonate pour violoncelle en fa majeur Op.5 n°1 de 1796 que s’ouvre l’événement. Dès l’Adagio introductif, on goute une sonorité nouvelle sous l’archet de Xavier Phillips, un phrasé généreusement lié et un aigu d’une sûreté qu’on n’attendait peut-être pas. Le travail de la nuance est précieux sans maniérisme, la concentration extrême, avec un piano totalement différent de celui qu’hier l’on subissait – brutal Neuburger : la bienveillance accusait alors l’acoustique de l’église, mais les premières notes de ce concert-ci révèlent immédiatement qu’elle n’était point coupable. De fait, l’inflexion pianistique demeure sagement sertie dans un Allegro dont le chant semble prêt à surgir, disponible mais fort parcimonieusement libéré. À peine « mouillée », la reprise cantabile ne souffre d’aucun brouillage superfétatoire. La grande tenue de l’interprétation est confirmée par un Rondo à la grâce sévère.

François-Frédéric Guy ménage une rondeur tendre aux Variationen über « Ein Mädchen oder Weibchen » aus Mozarts « Die Zauberflöte » Op.66 dont il cisèle délicatement les motifs ornementaux, toujours très doux. Voilà qui est fait avec beaucoup d’esprit et sans « chichi », voire quelque chose d’un rien « bonhomme », y compris dans la vélocité qui va de soi, légère. Dans une paix souveraine sont données les Variationen über ein Thema aus Händel's Judas Maccabäus « See the conqu'ring hero comes » Wo0 45 : sereine, l’interprétation n’a cependant rien d’amabile. Xavier Phillips chante avec une plénitude mélancolique qui fait se rencontrer l’héritage baroque et la verve romantique – bravo !

D’emblée, l’introït de la Sonate pour violoncelle en sol mineur Op.5 n°2 saisit comme un appel. Sostenuto ed espressivo, dit la partition… le moelleux du piano et l’infatigable souffle du violoncelle mènent une exécution tant fidèle qu’inspirée. Avec élégance Guy dessine le thème bientôt varié du Rondo. La fin gagne une emphase presque céleste.

L’ultime moment de cette intégrale (très fréquentée) s’avère moins concluant, il faut l’avouer. L’Allegro assai de la Sonate en sol majeur Op.30 n°3 (1802) révèle un violon sans lumière et un piano un peu plus lourd sur le début. Le Menuet bénéficie d’une onctuosité pianistique revenue, traversée de la délicate précision toute pianofortiste des ornements telle que constatée le samedi précédent. L’inflexion générale est habitée d’une sorte d’inquiétude qui semble ne pas concerner le violoniste, quasiment inexistant. Après un Allegro vivace gentiment expédié, quittons la huitième sonate pour la dixième, en sol majeur Op.96 (1812), que Tedi Papavrami illumine d’une dextérité « bluffante » dès l’attaque en trilles du premier mouvement. Sur le chant musclé du piano (Adagio espressivo) le violon impose un répons ouvert, à la faveur d’un duo ferme et gracieux. Cependant, des doubles-cordes moyennement assurées viennent ternir les dernières mesures. Aussi l’écoute s’en tient-elle à la proposition pianistique dans un Scherzo qui ne pardonne rien à cet archet sans souffle. Sérieusement sérieuses, les fausses fins du quatrième épisode passent à côté de l’humour de Beethoven. Enfin, de la Sonate en la majeur Op.47 « Kreutzer-Sonate » retenons le fort beau chant du violon dans les variations de l’Andante médian.

« Il n’y a pas de petites pages chez Beethoven », affirme ma voisine de banc qui sans doute sait bien de quoi elle parle – une vérité qui vaguement survole toux, papotages, téléphones qui swinguent, bébé brailleur, excitée du genou qui frappe frénétiquement le prie-Dieu, bref : l’absolue sauvagerie du public.

BB