Recherche
Chroniques
épisode 4 – Des canyons aux étoiles de Messiaen
Orchestre Poitou-Charente, Jean-François Heisser
Quarante ans… C’est l’âge de cette vaste fresque pour piano solo, cor, xylorimba, glockenspiel et orchestre d’Olivier Messiaen, créée à l’automne 1974 à New York. Berlioz en Amérique se poursuit donc brillamment via cet autre compositeur du pays, Festival Berlioz et Festival Messiaen faisant bon ménage à quelques virages l’un de l’autre. C’est l’occasion de féliciter l’Agence Iséroise de Diffusion Artistique (AIDA), présidée par Pascal Payen (Vice-président du Conseil général, en charge de la culture et du patrimoine) et dirigée par Bruno Messina (ethnomusicologue et « patron » du festival de La-Côte-Saint-André), à laquelle vient d’être confiée la responsabilité artistique de la Maison Messiaen.
Après un séjour dans le grand Ouest nord-américain dont il visite les impressionnants déserts colorés de l’Utah, Messiaen se lance dans l’écriture de douze mouvements – dont certains ne convoquent que le piano, l’un de ses deux instruments fétiche (l’autre étant l’orgue, bien sûr) –, regroupés en trois parties qui, à la manière particulière de l’ornithologue éclairé mais fort imaginatif qu’il fut, constituent Des canyons aux étoiles.
Contrairement à son accompagnement assez pénible du récital de Nicolas Dautricourt (violon), avant-hier, qui accusait une brutalité plus que mal venue dans les opus romantiques de Chausson, Canteloube, Franck et Ysaÿe, Jean-Frédéric Neuburger s’avère plutôt dans son élément avec cette œuvre de grand espace, déployant des forces percussives et des masses orchestrales généreuses, de surcroit donnée en plein air. Plus encore, on apprécie la fermeté de sa frappe comme le lyrisme avec lequel il en porte certains moments des plus nuancés, bien que le travail de la couleur, si cher au compositeur dauphinois, ne soit guère sa préoccupation majeure. Dès l’abord Takenori Nemoto brille dans des parties de cor solo à l’élan olympien par le soin extrême apporté à la dynamique, plus tard par la fiabilité de son rendu des effets et d’un bout à l’autre par l’autorité de l’impact, somptueux.
Depuis longtemps nous n’avions entendu l’Orchestre Poitou-Charentes. Ce concert en révèle le progrès considérable, magnifié par Jean-François Heisser, d’une rigoureuse précision – avec la profusion rythmique de l’œuvre, il en faut plus qu’ailleurs. Excellent musicien, le chef (et pianiste) engage une interprétation prudente qui ne fait point hurler inconsidérément ses pupitres et ménage les moires de timbres requises, comme cette secrète gelure de cordes tellement propre à Messiaen. On goute les appels célestes en caresses de flûtes et de violoncelles, la succession de séquences méditatives et de passages vivement tendus, mais encore le chant des cuivres, irréprochables. On retrouve Daniel Ciampolini, soliste de l’Ensemble Intercontemporain, dans la partie de xylorimba, et Florent Jodelet, percussionniste solo de l’Orchestre national de France, dans celle de glockenspiel.
Sous les étoiles côtoises, ses canyons-là plus que jamais annoncent les grandes pages de la fin ; on pense naturellement à Éclairs sur l’au-delà… Un seul regret : que le public soit venu moins nombreux qu’aux soirées précédentes. La musique de Messiaen lui ferait-elle encore un peu peur ? Ne soyez pas timides, mélomanes, voyons !
BB