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Chroniques
épisode 5 – Berlioz, Guarnieri et Villa-Lobos
Cláudio Cruz dirige l’Orquestra Jovem do Estado de São Paulo
Depuis son ouverture jeudi dernier, le Festival Berlioz n’a pas encore donné intégralement une seule œuvre du compositeur de La-Côte-Saint-André. C’est donc à une sorte de mini réouverture, en quelques sortes, que nous assistons, puisqu’en la cour du Château Louis XI retentiront ce soir les cinq mouvements de la Symphonique fantastique, composée en février-mars 1830, en pleine bataille d’Hernani.
Pour ce faire, Bruno Messina a imaginé d’inviter l’Orquestra Jovem do Estado de São Paulo dont ce sera la troisième présence sur le sol européen. Comme son nom l’indique, il s’agit d’une phalange de jeunes instrumentistes brésiliens qui, par l’exercice du concert, sont en voie de professionnalisation. Nous les entendrons, pour commencer, dans Abertura concertante, écrite en 1942 par Mozart Camargo Guarnieri (1907-1993), musicien brésilien qui fut élève de notre Charles Koechlin. Si l’on connaît encore mal sa musique par chez nous, Guarnieri est considéré ailleurs comme l’autre grand compositeur du pays, après Villa-Lobos, son aîné de vingt ans. Dans la lignée d’un Ginastera, son contemporain argentin, il nous plonge d’emblée dans un tonique jazz latino rehaussé par les flûtes de son pays, avec cette Ouverture que nous entendions il y a quelques années sous la battue de John Neschling [lire notre chronique du 29 mars 2007], idéale pour laisser goûter la qualité des vents de cet orchestre. Sur la section médiane, la suavité des cordes convainc, ni sucrée ni sensuelle, mais exquisément fruitée. Notons également la prégnance d’un solo de basson fort joliment ciselé. Le très impulsif motif de départ revient en conclusion, selon le modèle de la sinfonia baroque, au fond. Déjà l’on sait être en présence d’une équipe de jeunes gens à l’enthousiasme compétent.
Dédié au politicien Gustavo Capanema, alors ministre de l’éducation, Bachianas Brasileiras n°7, fut également écrit en 1942, par Heitor Villa-Lobos. À la fois fluide et secrète, l’exécution soignée de son Prelúdio séduit dans les premiers pas, puis transmet bientôt une mélancolie intense, sculptée dans la masse orchestrale par Cláudio Cruz. Après un départ fugato, la remarquable effervescence de la Giga superpose avec une étonnante virtuosité les principes de l’ostinato et de la fugue, pourtant estimés contraires. À une Tocata dont les riches alliages timbriques surprennent, la Fuga proprement dite brille par la dynamique générale, malgré des unissons de violoncelles parfois précaires. Avec son fou déploiement de caisses, la résolution finale emporte les gradins !
Saluerons-nous jamais assez la belle cohérence de la programmation ?
Outre de tisser sa thématique au fil de chaque concert, du soir comme de l’après-midi, le festival fait halte ici et là, sous le balcon, selon sa formule consacrée, avec des musiques du Nouveau Monde. Et n’est-il pas fantastique, enfin, de pouvoir entendre la Fantastique par ces musiciens de demain, venus de si loin pour nous la jouer ?
Le premier mouvement impose des cordes nettement plus « enveloppées » qu’on en a pris l’habitude, et c’est fort bien ainsi : un relief nouveau dessine soudain une interprétation formidablement généreuse. La lecture en est leste, avec fort peu de rubato. Enlevé, Le bal est traversé d’une verve virevoltante à souhait qui ne déroge pas à l’intensité constatée plus avant. La fraîcheur du fameux dialogue de cor anglais et de hautbois aus der Ferne intrigue juste ce qu’il faut la pastorale suivante, avant une Marche au supplice souterrainement effrayante, inexorable, dont les cuivres brillent « méchamment » de beaucoup de détails que pourtant bien des interprétations se contentent de glisser sous le tapis – bravo ! Que supplicié se disputent avec tant de géniale irrévérence les sorcières de l’ultime épisode ? Sombre et presque « sale », ce Songe d’une nuit de sabbat ricane âprement son Dies Irae, peut-être dérisoire. L’an dernier, l’on fondit ici-même deux cloches spécialement destinées à jouer l’œuvre phare de Berlioz : nous en mesurons alors l’impact extraordinaire. Cette aura campanaire invente un ciel virtuel au-dessus de l’orchestre, au-dessus du public, par-delà la ville elle-même.
BB