Chroniques

par gilles charlassier

Étienne-Nicolas Méhul | Symphonie en sol mineur n°1
Orchestre Symphonique Saint-Étienne Loire, David Reiland

Opéra de Saint-Étienne
- 3 octobre 2017
David Reiland joue Méhul avec l'Orchestre Symphonique Saint-Étienne Loire
© dr

À l'heure de la rentrée, chacune des grandes institutions musicales du pays fourbit son ouverture de saison. L'Opéra de Saint-Étienne choisit de mettre en avant sa phalange, l'Orchestre symphonique Saint-Étienne Loire (fondé il y a exactement trente ans) dans un programme célébrant un autre anniversaire, resté bien discret, celui de Méhul, disparu il y a tout juste deux siècles [lire nos chroniques de Le jeune sage et le vieux fou, Stratonice et Uthal].

Loin de se confire dans une commémoration, la soirée ménage une dramaturgie intéressante valorisant une parenté méconnue, parfois quasi imitative, entre deux partitions contemporaines, la Symphonie en sol mineur n°1 de Méhul, que l'on redécouvre grâce au travail musicologique de François Bernard (édité l'an dernier chez Symétrie) et la célébrissime Cinquième de Beethoven, celle-ci créée en décembre 1808 alors que celle-là sortait de la plume. S'il ne saurait être question de mesurer la première à l'aune de la seconde, les similitudes entre les deux s'avèrent parfois plus que troublantes, et, sans reléguer le génie propre de l'opus du compositeur français, David Reiland élucide les siamoiseries avec une belle intelligence musicale.

S'il emprunte l'impatience du Destin à son homologue germanique, l'Allegro initial de Méhul déploie une énergie qui regarde davantage vers le Sturm und Drang, alors en fanaison, quand le développement rappelle Haydn. Témoins de la digestion de l'héritage baroqueux jusqu'à la prise de risques, la vitalité des pupitres et la nervosité des attaques cèdent, comme chez l'Allemand, à un Andante à variations tout en rondeur, ici livré sans inutile adiposité postromantique, dans un climat de douceur plus proche de Mozart – on songe à la Symphonie n°40 K.550, d’ailleurs de même tonalité. Mais c'est dans les délicats – et délicieux – pizzicati en sourdine que la gémellité avec Beethoven se révèle la plus évidente : même sens du contraste avec le trio en section centrale, même tension irradiant de manière souterraine la structure du mouvement. Point, cependant, de jaillissement final de la lumière : si l'oreille reconnaît le jeu de tierces idiomatique de la Cinquième, la forme du Presto ne transsubstantie pas le mode mineur initial et liquide son énergie dans un tourbillon que n'aurait pas renié la Funèbre (Symphonie en mi mineur Hob.I/44)ou la Passion (Symphonie en fa mineur Hob.1/49) du maître de chapelle des Esterházy.

Affronter ensuite la Symphonie en ut mineur Op.67 n°5 ne manque pas de péril, dans un sens comme dans l'autre, tant la supériorité de l'œuvre beethovénienne paraît aujourd'hui herméneutiquement saturée. David Reiland n'en déploie pas moins les clartés de lisibilité des couches sonores qui magnifiaient Méhul, soulignant la dynamique des strates mélodiques, à l'exemple du motif de contrebasson dans le finale, caractérisé avec un trop rare sens du détail expressif. Malgré l'usure du répertoire, le chef belge réussit la gageure de faire résonner la fameuse partition avec une fraîcheur inespérée.

Juste avant l'entracte, Anna Göckel fait briller le Concerto pour violon en la majeur K.219 n°5 de Mozart. La jeune soliste (vingt-cinq ans) affirme une sensualité élégante et sans apprêt qui s'allie avec une direction au fait du langage classique. Juvénile crêpe harmonique, l'archet de la française offre en bis la Loure de la Partita en mi majeur n°3 BWV 1006 de Bach, tandis qu'en zakouski préliminaire, le jeune Stéphanois Sacha Morin, repéré au cours d'un télé-crochet, donne, du haut de ses quatorze ans, Jardin sous la pluie de Debussy.

GC