Chroniques

par bertrand bolognesi

œuvres de Berg, Dutilleux, Knussen et Webern
Barbara Hannigan, Christine Schäfer, Oliver Knussen

Orchestre de l’Opéra national de Paris
Festival d'Automne à Paris / Opéra national de Paris, Palais Garnier
- 22 novembre 2005
le compositeur et chef d'orchestre écossais Oliver Knussen
© clive barda

La saison symphonique de l’Opéra national de Paris se poursuit au Palais Garnier avec un programme d’opus relativement récents que dirige le chef écossais Oliver Knussen, une soirée donnée en collaboration avec le Festival d’Automne à Paris. Au début des années quatre-vingt, l’opéra Where the Wild Things Are, créé à Glyndebourne, mettait Knussen, jusque là peu connu du public, sur le devant de la scène musicale internationale. Les mélomanes britanniques le connaissaient bien, tant parce que sa carrière fut dès le début naturellement avantagée par le fait que sa famille était musicienne, mais surtout depuis la première de sa Symphonie n°3, vivement applaudie au Royal Albert Hall aux Prom’s de septembre 1979 (BBC Symphony Orchestra, dirigé par Michael Tilson Thomas), quatre ans après des USA.

C’est par cette brève page que s’achève ce concert dont, au passage, l’on saluera la cohérence, puisque c’est après avoir entendu les Viennois, non étrangers à la manière de Knussen, que le public peut investir son écoute dans cette Troisième. Contrairement à ses compatriotes, Knussen s’attache moins à « cuisiner » les timbres par de savants alliages – à l’exception d’une fort belle section où surprennent guitare, célesta et harpe – qu’à ciseler un discours qui doit peut-être sa tonicité rythmique à Stravinsky et ses violents contrastes à Mahler, ainsi qu’à Berg la libération relative de son lyrisme. On y rencontre également un enthousiasme que Birtwistle connut dans les années de Punch and Judy, par exemple.

Tout ce que récemment l’on eut à reprocher à la lecture de Pintscher, à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg [lire notre chronique du 25 septembre 2005], s’efface à l’écoute de l’actuelle interprétation des Six pièces Op.6 d’Anton von Webern. Le soin apporté par Knussen à tracer un chemin clair dans l’écriture en rend évident l’accès. À cette exigence minutieuse répondent scrupuleusement les musiciens de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris, comme en témoignent la délicatesse avec laquelle ils livrent Zart bewegt (II), la perfection de la réalisation du Sehr langsam (V) par les bois, mais aussi l’exceptionnelle attention d’un public concentré.

Deux soprani se succèdent à l’avant-scène : la Canadienne Barbara Hannigan, pour commencer, qui honore d’une diction exemplaire la belle clarté de l’orchestration d’Henri Dutilleux, dans une approche plus aboutie encore de ses Correspondances dont avec Kurt Masur et l’ONF elle chantait la première française l’an dernier [lire notre chronique du 16 septembre 2004]. L’aigu lumineux de la chanteuse vient transcender la Danse cosmique dont le chef souligne à peine les figuralismes. Les accents d’accordéon d’À Slava et Galina pourraient bien citer certains traits du Premier cercle, l’opéra de Gilbert Amy composé à partir du récit éponyme de Soljenitsyne ; se mêle à cette lettre touchante du romancier en exil une réminiscence de la mélodie de l’Innocent (Boris Godounov). Ici, Barbara Hannigan libère sa voix, générant une émotion indéniable. Après les nettement plus abstraits Gong (mélodies 3 et 4) de Rilke survient l’instrumentation chatoyante et contrastée du De Vincent à Théo dont le début se souvient de délices debussystes.

L’Allemande Christine Schäfer,ensuite, que Paris accueille trop rarement bien que régulièrement. Nous la retrouvons dans un répertoire qui lui est familier : les Altenberg Lieder d’Alban Berg. L’interprétation d’Oliver Knussen, pour délicatement colorée qu’elle soit, demeure quelque peu « décorative » par rapport à l’engagement de la chanteuse dans cet univers sombre. N’exagérant jamais l’expressivité, même dans la phrase nue de Sahst du nach dem Gewitterregen (II), Christine Schäfer porte cette poésie avec un naturel déroutant, une intelligence tant du texte que de la partition qu’on ne félicitera jamais assez. Partant que l’orchestre n’a pas la vocation d’une formation symphonique et concentre l’essentiel de son activité à la fosse, les exécutions de ce soir, bien qu’accusant quelques faiblesses aux cuivres et aux contrebasses, sont largement satisfaisantes.

BB