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Chroniques
Бори́с Годуно́в | Boris Godounov
opéra de Modeste Moussorgski
Il ne sera jamais assez débattu de la partition originale de Boris Godounov. Aussi mystérieuse et épique que la naissance d'un Delacroix, sa création en 1874 fait paraître une partition qui déjà est une seconde version (remaniée sur demande du comité de lecture), puis Rimski-Korsakov corrigera les maladresses de cette version…
Aujourd'hui, c'est la mouture initiale de 1869 (avant censure) qui est présentée en ouverture de saison du Grand Théâtre de Genève. Celle-ci a pour avantage dramaturgique de centrer le récit sur le personnage principal, l'ascension, le couronnement, le doute et la mort de Boris… bien que nous privant du bel acte polonais où se joue le complot qui développe considérablement l'importance de l'imposteur Grigori et offre le rôle merveilleux de Marina…
La hiérarchie et les caractères des rôles ont vraisemblablement échappé au metteur en scène Pierre Strosser. Certes, nous pouvons régulièrement douter de la crédibilité dramaturgique de certains livrets, mais lorsqu'ils nous viennent plus ou moins directement de Pouchkine, ici, ou de Maeterlinck, pour ne citer que Pelléas et Mélisande, par exemple, leur présentation nécessite une vraie vision sinon une digestion de l'intrigue et de sa portée dramatique. Il enferme son Boris dans un décor unique, sorte de tribunal années vingt ou d'amphithéâtre de faculté, sombrant régulièrement dans un certain folklorisme (tableau de la taverne), le tout nimbé d'une atmosphère froide et assez fade. La seule piste qu'il semble explorer est la relation Boris/Chouïski (prince dont la loyauté envers le tsar se discute).
Justement, Chouïski sur scène est... Pierre Strosser lui-même !
Tenant le rôle muet tandis que Stuart Kale sur le proscénium remplaçait admirablement Graham Clark souffrant. La distribution rassemblée pour cette production ne souffre que peu de faille. Julian Konstantinov offre un Boris tourmenté d'une musicalité hors pair, très émouvant dans sa scène finale, tout comme Alexander Anisimov en vieux moine Pimène plus sombre encore dans le registre de basse, d'une merveilleuse sagesse.
Bernhard Kontarsky, dont nous pouvions attendre plus de netteté et de précision (quelques décalages malheureux entre la scène et la fosse), ne manque cependant pas de dynamisme, faisant ressurgir toute la férocité et la rudesse de cette partition, parfois un peu trop fort, mais toujours avec un certain sens du drame. L’Orchestre de la Suisse Romande le suit sans jamais défaillir, dans une belle cohésion, tous pupitres à l'honneur.
Heureux également, le principal personnage de l'œuvre, le peuple russe, est formidablement servi par le Chœur du Grand Théâtre de Genève, renforcé pour l'occasion par le Chœur Orpheus de Sofia.
LL