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Sous la direction de son fondateur, Mikhaïl Katkov, Le messager russe s’affirme un des périodiques les plus estimés de la seconde moitié du XIXe siècle, notamment pour ses pages littéraires. Tourgueniev, Dostoïevski et Tolstoï y font connaître des œuvres qui deviendraient des classiques (Pères et fils, Les démons, Anna Karénine, etc.), dont Guerre et paix, paru en feuilleton entre 1865 et 1869 – on trouve de plus en plus l’intitulé La guerre et la paix, sous prétexte que Tolstoï lui-même proposa cette traduction inspirée par un ouvrage éponyme du théoricien révolutionnaire Proudhon (1861), mais rappelons que la langue de Pouchkine ne connaît pas l’article. Sur fond de campagnes napoléoniennes, le romancier détaille la psychologie du milieu aristocrate russe entre 1805 et 1820, à travers de multiples personnages et sujets en vogue (servage, sociétés secrètes, etc.).

Dans un article paru trois ans après le 22 juin 1941, Sergueï Prokofiev (1891-1953) rappelle comment il apprit, par la femme du gardien de sa résidence puis par Eisenstein qui habitait non loin, que les fascistes allemands attaquaient la Russie soviétique. Dans les jours qui suivent, alors que le ballet Cendrillon (1945) est encore en chantier, l’idée se précise d’un opéra d’après le chef-œuvre que le musicien avait lu avec passion à l’adolescence, « bien qu’il se soit un peu ennuyé durant de très longs passages » – selon Mira Mendelssohn, sa seconde épouse et collaboratrice (in Michel Dorigné, Serge Prokofiev, Fayard, 1994). Un envoi aux censeurs de Moscou témoigne de l’achèvement, en mai 1942, de la partition piano et chant. Cependant, il faut attendre le 8 novembre 1957, à la suite de différentes versions tronquées (1945, 1946, 1947), pour assister à la plus complète, au Théâtre Stanislavski.

En cette période de crise sanitaire, les archives mondiales permettent de pallier la fermeture des théâtres [lire nos chroniques de Violanta, Der ferne Klang, The Bassarids, Trois contes et Anthropocene]. C’est l’occasion de découvrir une captation réalisée le 8 avril 2013, au Théâtre Stanislavski de Moscou (MAMT *). Alexandre Titel y met en scène l’ouvrage épique de Prokofiev, avec la collaboration de Vladimir Arefiev (décors), Olga Polikarpova (costumes) et Damir Ismagilov (lumières). Sur un plateau quasi nu meublé de chaises éparses, de lustres descendus, sa lecture rend justice au désir d’intimité du compositeur. Dans la valse des sentiments, le cœur est à la danse – chorégraphie de Larissa Alexandrova. Puis arrive le temps des armes, imposant des masses chorales étouffantes, des considérations stratégiques qui sentent l’allégeance au Kremlin, mais l’œuvre est trop rarement donnée pour qu’on boude.

À elle seule, la distribution mérite l’attention. Chez les dames, on apprécie la facilité d’émission de Natalia Petrojitskaïa (Natacha), le beau mezzo de Larissa Andreeva (Sonia), la personnalité de Xenia Doudnikova (Hélène), le velours de Veronika Vyatkina (Maria) et la présence d’Irina Chistyakova (Akrosimova).

Chez les hommes, notre préférence va évidemment à Dmitri Zuev (Andreï), doté d’une saine projection et d’un timbre très cuivré, mais sans diminuer le charisme de Nikolaï Erokhine (Piotr), d’une extrême fiabilité dans ce rôle difficile. Pour leur vaillance, on apprécie également Sergueï Balachov (Anatole), Denis Makarov (Rostov), Roman Oulybine (Dolokhov), Andreï Batourkine (Denisov) et Oleg Polpoudine (Platon). Enfin, saluons la rondeur d’Arsen Soghomonyan (Napoléon) et l’ampleur tranquille de Dmitri Oulyanov en Koutouzov [lire nos chroniques d'Oprichnik, The Saint of Bleecker street, Iolanta, Lady Macbeth de Mzensk à Salzbourg et à Paris, enfin du Prince Igor]. En fosse, Felix Korobov réserve lyrisme et souplesse aux sept premières scènes, tandis que les six dernières sont abordées avec plus de puissance – son des canons oblige.

LB

* Московский академический музыкальный теат : Théâtre Académique Musical de Moscou