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Chroniques
Евгений Онегин | Eugène Onéguine
opéra de Piotr Tchaïkovski
Ce second soir au Buxton Festival fait succéder à l’excitation de la découverte d’un ouvrage baroque oublié le confort du terrain connu : après Lucio Papirio dittatore de Caldara [lire notre chronique de la veille], nous prenons place dans la bonbonnière excentrique de l’Opera House pour assister à une représentation d’Eugène Onéguine.
De jeunes voix sont à l’œuvre dans cette nouvelle production de l’opéra que Tchaïkovski a justement écrit pour les étudiants des classes de chant. George Humphreys possède le baryton qu’on attend dans le rôle-titre, ainsi que la stature physique, d’une séduction condescendante. La couleur vocale tient en haleine, de même que la conduite parfaite du changement psychologique du personnage, mondain suffisant puis amoureux transi. L’ami Lensky est assuré par l’excellent David Webb, ténor clair, léger même, idéal dans cette version menée avec délicatesse, dans le souci de respecter l’impact des chanteurs. Son personnage est très attachant, le fameux air qui précède le duel émeut toute la salle – un artiste à suivre ! En Olga, la rieuse pragmatique, le mezzo-soprano Angharad Lyddon affirme un format plus ample et un jeu enlevé par la musicalité facile que le compositeur a réservé à la jeune fille. Il est plausible qu’on retrouve plus tard cette artiste dans un répertoire plus lourd, comme l’opéra allemand. La Nord-américaine Shelley Jackson, distinguée au Concours International Maria Callas 2017, offre un soprano très onctueux à Tatiana dont elle porte à un haut degré de sensibilité la mélancolie, le désir et la déception. La souplesse avec laquelle elle mène sa ligne vocale est un vrai bonheur [lire notre chronique d’Anna Bolena].
Les rôles secondaires ne sont pas en reste, tenus par les aînées Gaynor Keeble en Larina enveloppante, la Filipievna parfaite de Ceri Williams [lire nos chroniques de Das Rheingold et de Siegfried], la sonore basse de Joshua Bloom en prince Grémine convaincant [lire nos chroniques de The pirates of Penzance et La fiancée vendue], sans oublier Joe Doody en truculent Triquet.
Le nouveau directeur artistique du Buxton Festival n’est autre que le chef d’orchestre Adrian Kelly, tout à son affaire à la tête des vingt-quatre artistes du Buxton Festival Chorus, particulièrement bien préparés, et d’un Northern Chamber Orchestra expressif et dosé avec sagesse. En dehors des pas de danses, plus cordiaux, la conception de la fosse est presque chambriste, ce qui est un atout dans cet ouvrage dont l’équilibre doit être subtilement réalisé. Bravo !
La production de Jamie Manton est fort moins probante. Dans un décor minimaliste signé Justin Nardella, également auteur des costumes qui caractérisent la condition sociale et géographique des protagonistes, le metteur en scène tente de tisser les liens psychologiques, mais les chaises et les lustres du plateau limitent considérablement la radicalité d’une option surtout théâtrale. Sans doute aurait-il été préférable de jouer sans ces éléments, sur une scène entièrement nue et sous une lumière suggestive qui aurait fait vivre les situations en stimulant l’imagination du public. À ce travail scolaire l’on préfère le traitement des mouvements d’ensemble et de la danse par Jasmine Ricketts. Avec Eugène Onéguine se conclut la majeure partie du feuilleton britannique de l’été 2019 qui s’achèvera dans deux semaines, après une villégiature bien méritée.
HK