Chroniques

par bertrand bolognesi

Евгений Онегин | Eugène Onéguine
opéra de Piotr Tchaïkovski

Opéra national de Lyon
- 27 janvier 2007
Евгений Онегин | Eugène Onéguine, opéra de Tchaïkovski à Lyon
© bertrand stofleth

Pour sûr, ces représentations de l'opéra de Tchaïkovski feront date, tant il est peu fréquent de constater la conjonction d'une direction musicale tant ciselée que motivante, d'une distribution idéalement choisie et d'une mise en scène respectueuse et inventive. Suivant à la lettre le texte et la partition en révélant les situations sans les trop souligner, la production de Peter Stein s'avère d'une justesse sans faille, tout en se gardant d'un traditionalisme désuet, et tient compte, par l'usage d'une déclinaison architecturale massive toute de bois, omniprésente sur les trois actes, de l'inévitable distance qui pourrait nous en éloigner. Les espaces réalisés par Ferdinand Wögerbauer sont ceux de la palpitante intimité de Tatiana, mise en regard avec son entourage objectif : celui d'une sorte de maison de poupées (aucune présence masculine dans la famille Larine), ouverte sur un jardin, soit une nature artificielle tenant lieu d'intermédiaire avant le vaste monde, ou encore celui d'un bal d'anniversaire s'ornant de prétentions et de modesties provinciales, abordé par une sorte de féroce tendresse toute tchékhovienne. Et lorsqu'on aura dit que la direction d'acteurs s'ingénie à éclairer le non-dit sans oser le jamais détrousser, le lecteur comprendra la délicate poésie de ce spectacle.

On saluera les artistes des Chœurs de l'Opéra national de Lyon pour une prestation non seulement vaillante et efficace, mais encore activement engagée dans la représentation, comme en témoigne la contribution de regards qui font eux-mêmes monter progressivement l'absurde querelle du deuxième acte jusqu'à la rendre fatale. Outre un équilibre irréprochable des voix ici convoquées – qu'il s'agisse des deux jeunes filles, de Mme Larina et la Nourrice, ou du quatuor de l'Acte I –, félicitons un excellent casting. Stefania Toczyska est une Larina avantageusement projetée à l'aigu généreux. Elena Maximova incarne sans minauder la riante Olga, dans une belle égalité de couleur, construite sur un grave exquisément granuleux, et se révèle bonne comédienne sans jamais avoir à le démontrer. Menant scrupuleusement un chant magnifié par la perfection de la diction et l'aisance de l'aigu, Christophe Mortagne offre un Triquet nuancé, en accord avec une conception intéressante du rôle, moins facile et anecdotique qu'on veut bien nous le montrer habituellement. Efficace, bien qu'affichant des attaques parfois un rien écrasées, le Grémine de Mikhaïl Schelomianski présente une profondeur du grave qui lui vaut, quoi qu'on en dise, une honorable moyenne « applaudimétrique ». De même Margarita Nekrassova est-elle particulièrement appréciée, livrant à la nourrice Filipievna un format vocal dont la généreuse plénitude étonne autant que le riche nuancier.

Le trio de tête ne démérite pas.
Olga Mykytenko incarne une Tatiana prostrée sur un cœur qui se cherche, un cœur courageux, laissant à l'acte pétersbourgeois le soin de souligner les indéniables qualités de sa voix et de son art. Le baryton polonais Wojtek Drabowicz, qui connaît son Onéguine par cœur pour l'avoir maintes fois chanté, laisse le souvenir d'un antihéros infiniment nuancé au grain charmeur, sans pourtant que l'émotion soit au rendez-vous. Remplaçant Edgaras Monvidas, nous retrouvons avec plaisir Marius Brenciu en Lenski ; il construit un personnage de franc jeune homme souriant, se dandinant d'admiration devant sa belle, dans une aisance sensuelle affirmée, plutôt que le modèle de poète binoclard et souffreteux généralement rencontré – une sorte de moderne, allant de soi dans la culture russe, du reste. Contrairement à sa prestation toulousaine [lire notre chronique du 11 avril 2003], le ténor roumain ménage au second couplet de ses adieux une suave voix mixte dont il use le plus souplement qui soit.

À la tête de l'Orchestre maison, le jeune Kirill Petrenko savoure le matériau tchaïkovskien avec précision et respect, ce qu'on ne négligera pas de souligner, s'agissant d'une partition étonnamment indiquée, pour l'époque. Sans excès de contraste, il mène la dramaturgie avec la cohérence d'une soigneuse vue d'ensemble, ce qui n'exclut pas une certaine véhémence.

BB