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Chroniques
Евгений Онегин | Eugène Onéguine
opéra de Piotr Tchaïkovski
En 1979, Adolf Dresen signait la mise en scène de cet Eugène Onéguine dont l’Opéra de Hambourg donne une nouvelle série de représentations cet hiver. L’élément omniprésent de cette réalisation est le jardin, avec ses grands bouleaux, la véranda de la datcha et les arbres fruitiers poussant en buissons, toute une verdure qui protège les protagonistes de sa douce et enveloppante bienveillance, jusqu’à la scène du bal d’anniversaire et la provocation en duel. Les deux amis tentent à contretemps une conciliation impossible : Onéguine le premier s’approche vers Lenski qui ne le voit pas et lui tourne le dos en comptant les pas réglementaires ; renonçant au combat Lenski s’avance vers le citadin qui ne peut le distinguer tant la brume est épaisse, et tire. Abattu, l’ami de toujours, alors que ni l’un ni l’autre n’était plus fâché. Abandonnée trop tard, la querelle s’est changée en accident. La scène est nue, pas la moindre branche ; la nature a fui la folie des hommes.
Au pupitre, Patrick Davin (tout récemment nommé à l’Opéra de Marseille) assume une lecture qui rend un hommage scrupuleux à une partition extrêmement notée pour son époque : les équilibres sont soignés, la conduite précise toujours au service du drame et des chanteurs. Avec une pertinence frappante, Il replace l’œuvre dans le contexte de son écriture. Tout en arborant des tempi en général plutôt rapides, le jeune chef n’en développe pas moins un certain lyrisme, construit sur la sonorité elle-même. L’Orchestre Philharmonique d’État de Hambourg compte indéniablement d’excellentes cordes, mais le pupitre des cuivres reste assez inégal.
Le plateau vocal est, dans l’ensemble, satisfaisant. Le Lenski de Peter Galliard, en dépit d’un timbre parfois nasillard, fait mouche dans son dernier air, conduit dans une nuance délicate. Kurt Moll campe un Prince Grémine à l’aide des beaux graves qu’on lui connaît, avec une prestance toutefois d’un autre temps, il faut bien le dire. Si, avec un timbre étrangement frêle, des aigus souvent mal négociés (on l’entendit avec plus de bonheur par le passé) et une présence scénique tout à fait quelconque qui rend le personnage assez mièvre, la Tatiana d’Orla Boylan est décevante, Elena Zhidkova offre une Olga délicieuse, sans tomber dans les clichés de l’habituel papillonnage, servant le rôle d’une voix bien projetée, avec un timbre chaleureux et attachant. Le jeu est d’un naturel qui fait plaisir à voir et l’organe domine aisément les ensembles sans pour autant tirer la vedette par un chant d’une évidence rare.
Enfin, Bo Skovhus saisit le public dès son entrée, un peu raide, protocolaire par ironie. Son Onéguine est, de prime abord, détestable, puis rapidement pitoyable, construit avec une subtilité jamais rencontrée. Ce soir, le baryton danois, en pleine forme, mène son art avec une maîtrise infaillible, tout en sachant faire oublier le chant. C’est un grand moment de théâtre et d’émotion qu’il engage avec une efficace générosité. Son dernier acte donne des frissons, avec une voix qui soudain se libère toute sa richesse et sa puissance, saluée d’un silence stupéfait, proportionné aux hourrasdes saluts. En vérité, de tous les Onéguine vus ces dernières années, celui de Bo Skovhus est le plus intelligemment interprété, tant dramatiquement que musicalement, et bénéficie d’une maturité racée.
BB