Chroniques

par irma foletti

Золотой Петушок | Le coq d’or
opéra de Nikolaï Rimski-Korsakov

Opéra national de Lyon
- 31 mai 2021
Le coq d'or, opéra de Nikolaï Rimski-Korsakov, mis en scène par Barrie Kosky
© jean-louis fernandez

Cette nouvelle production du Coq d’or de Nikolaï Rimski-Korsakov [lire nos chroniques de celles d’Ennosuke Ichikawa et de Laurent Pelly] conçue par Barrie Kosky devait être créée lors de l’édition 2020 du Festival d’Aix-en-Provence, puis reprise à Lyon cette saison-ci, mais les circonstances pandémiques en ont décidé autrement et c’est le public lyonnais qui a la primeur de ce spectacle qui sera remonté en juillet prochain pour les Aixois. C’est bien devant des spectateurs, dans une salle clairsemée toutefois, qu’est donnée la représentation, en un peu plus de deux heures, sans entracte. Les musiciens continuent de respecter les distanciations physiques, au point de déborder quelque peu sur les premières places du parterre, trois ou quatre instrumentistes placés de part et d’autre, bois à gauche et cuivres à droite.

Le rideau se lève sur les décors de Rufus Didwiszus, un paysage de montagne esquissé sur les trois parois qui encadrent la scène. De hautes herbes y poussent généreusement et un arbre mort est planté côté cour, en haut d’une légère pente. Le coq d’or de la pièce viendra se percher à son sommet, le comédien Wilfried Gonon mimant de la bouche les nombreux Ki-ri-ki, ki-ri-cou-cou que le soprano Maria Nazarova chante en coulisse. Le choix le plus radical du metteur en scène australien, actuel directeur de la Komische Oper de Berlin, est de montrer le tsar Dodon en maillot de corps et caleçons longs, des vêtements très sales, voire crasseux, tout comme le personnage qui semble fort loin de prendre sa douche quotidienne. Le conte tourne alors à la caricature, surtout lorsque ce Dodon hagard donne des coups d’épée à un ennemi invisible ou qu’il galope sur un cheval mécanique, tel Don Quichotte combattant les moulins à vent. Ses deux fils, les tsarévitchs Aphron et Gvidon, apparaissent quant à eux en jeunes cadres dynamiques en costume et cravate, aux petits soins avec papa malgré l’air pestilentiel qui l’entoure. Masqués d’une tête de cheval, les choristes trottent pour leurs entrées en scène afin de former l’armée de soldats. Quatre danseurs émaillent la soirée de courts ballets très réussis et drôles, chorégraphiés par Otto Pichler.

Le deuxième acte s’ouvre sur une vision infernale, les deux corps décapités des tsarévitchs attachés par les pieds à une branche de l’arbre, avec les têtes posées à terre à côté de Dodon. Afin d’opérer les changements de décor entre les actes, l’Astrologue traverse lentement le plateau, à tout petits pas, pendant les deux précipités. Le troisième acte est plus joyeux à son entame, avec une brève chorégraphie des quatre danseurs pleine d’énergie, dans des habits de lumière disco, puis les choristes se montrent en costumes colorés et perruques fantaisie. La fin est bien plus sanglante, quand Dodon assassine l’Astrologue à coups répétés de hache, puis que l’oiseau tue Dodon, lui arrachant un œil pour l’avaler dans un gloups sonore ! L’Astrologue arrive pour l’Épilogue, écrêté portant en main sa tête dont s’ouvre la bouche lorsqu’il chante, dans un humour doux-amer régulièrement présent tout au long de la pièce.

Premier par ordre d’apparition, Andreï Popov en Astrologue est un ténor capable de chanter sa partition extrêmement aigüe et tendue, jusqu’à la voix de tête pour sa note la plus aérienne au troisième acte [lire nos chroniques du Nez à Paris, Aix et New York, du Prince Igor à New York et à Paris, de Lady Macbeth de Mzensk à Salzbourg et à Paris]. Le rôle le plus important de l’œuvre est celui de Dodon, défendu vaillamment par la basse Dmitri Ulyanov dont la richesse de timbre, la noblesse du phrasé et la projection puissante contrastent fortement avec l’apparence physique du personnage [lire nos chroniques de The Saint of Bleecker street et d’Iolanta]. Le baryton Andreï Zhilikhovsky en Aphron et le ténor Vassili Efimov en Gvidon [lire nos chroniques du Joueur, d’Iolanta, Raspoutine, Les fiançailles au couvent, Pulcinella, Khovantchina, La fille de neige et Boris Godounov] font entendre également deux voix superbement timbrées, tout comme l’autre basse, Micha Schelomianski en Général Polkan [lire nos chroniques de Rossignol, Turandot, Iolanta, La petite renarde rusée, Mozart et Salieri puis d’Eugène Onéguine à Montpellier et à Metz], qui cependant passe par moments un peu inaperçu, ayant, sous l’apparence de faux-cheval, tendance à se fondre dans la masse des choristes. Le contralto Margarita Nekrasova (Amelfa) chante élégamment, à volume plutôt modéré, en puisant dans quelques graves profonds [lire nos chroniques de Boris Godounov, La légende de la ville invisible de Kitège et de la demoiselle Févronie, Götterdämmerung, Eugène Onéguine, La dame de pique et The Bassarids]. En Reine de Chemakha, le soprano Nina Minasyan déroule un grand numéro de charme vocal et théâtral tout au long de l’Acte II dont elle est la principale protagoniste. Longueur de souffle, musicalité impeccable, aigus et suraigus généreux, souplesse vocale, ses nombreux atouts sont aussi mis au service de la séduction [lire notre chronique de Cendrillon]. Dodon tombe rapidement sous son emprise, laissant balader l’ombre de ses mains sur le corps de la reine. Il faut reconnaître pour assez suggestives les paroles de cette femme fatale :

« Pour un sommeil plus serein,
Je m’asperge de rosée :
Quelques gouttes embrasées
Glissent, suivant le dessin
De ma gorge… Et, dieux, quels seins ! »

L’autre triomphateur de la soirée est Daniele Rustioni, chef principal de l’Opéra national de Lyon depuis l’automne 2017. La musique est un enchantement permanent, dès les premières notes de l’Ouverture où la virtuosité des bois, et de la flûte en particulier, est très sollicitée. La fosse fait preuve d’une cohésion sans relâche, le tapis des cordes est somptueux est fait ressortir les beautés exotiques du conte, mais encore ses moments légers et ses aspects plus dramatiques – par exemple l’introduction lugubre de l’Acte II ou la conclusion du III. Naturellement dans son élément quand il dirige Verdi, Rossini ou Puccini, le chef italien est décidemment tout aussi à l’aise dans le répertoire russe : à ce propos l’on se souvient de sa magnifique direction musicale dans L’enchanteresse de Tchaïkovski, ici-même [lire notre chronique du 15 mars 2019]. Une mention aussi pour le chœur lyonnais, dynamique dans ses premières interventions et bien chantant dans ses deux grands passages du III, aux sonorités slaves et enivrantes.

IF