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Chroniques
Леди Макбет Мценского уезда | Lady Macbeth de Mzensk
opéra de Dmitri Chostakovitch
Dmitri Chostakovitch est un compositeur précoce. Dès l'âge de vingt-six ans, il achève son second opéra, Lady Macbeth de Mzensk, aussitôt interdit par le parti communiste soviétique, puis révisé par le maître à la fin de sa vie pour ne vraiment prendre son essor qu'après sa mort en 1975, comme porté aux anges sur la crête d'une déferlante – le fameux enregistrement de Rostropovitch, avec Vichnevskaïa et Gedda.
S'ensuivent quelques apparitions sur nos scènes françaises, rares et fantastiques, tel ce gros chat gris fantôme dans le conte inspirateur de Leskov qui marcherait à merveille sur les toutes premières notes de clarinette, au seuil de la chambre solitaire de Katerina... sauf qu'à Lyon, le rideau s'ouvre sur la foule d'un grand entrepôt aux heures de pointe, une fourmilière moderne de forçats empâtés en gilets de sécurité jaune fluo, aux commandes de leurs élévateurs de palettes, de cadres en costumes gris, surveillant les premiers et scrutant quelques feuilles volantes et aussi, en passant, les secrétaires en jupes courtes face à leur écran.
À l'exception de Katerina, vêtue d'une tenue traditionnelle de paysanne russe et retranchée dans une petite salle couverte de vieux tapis d'Asie centrale, tous jouent notre monde contemporain de néons et d'informatisation. Dans ce décalage, la basse chantante Vladimir Ognovenko brille tout particulièrement dans le rôle du patriarche Boris, ici un vieux chef de projet, un peu caïd dans son Hugo Boss. Son attitude espiègle, sa voix chaude et forte, au beau timbre, plaisent beaucoup.
En toute méprise de certains détails liant l'intrigue, la mise en scène culottée de Dmitri Tcherniakov insiste sur l'énergie des personnages, doublée de bestialité (danse frénétique, masturbation aux interludes), et sur l'aspect contemporain de l'histoire (décor et lumières d'une monotonie réaliste), avec pour grande héroïne la femme libérée. Dans ce rôle-titre physiquement très exigeant et tenu le plus souvent en nuisette, comme une ingénue érotique tout d'abord, puis en combattante passionnée à mort, le soprano lituanien Ausrine Stundyte semble vouloir se donner corps et âme. De même le ténor John Daszak [lire nos chroniques du 5 juillet 2011 et du 26 avril 2014], dans la peau rasée de l'amant Sergueï, qui se montre très touchant au premier duo d'amour, puis de plus en plus brutal dans l'action dramatique.
Or, Жеребенок с кобылой торопится (Le poulain se hâte de retrouver sa pouliche), l'aria de Katerina, est un fort beau moment de calme avant la tempête et l'heure des crimes. Mais il vaut ici surtout pour son ornement, grâce à la souplesse et au tonus de l'Orchestre de l'Opéra national de Lyon, placé sous la baguette de son chef permanent Kazushi Ono. C'est alors peut-être dans le bref dialogue de la fin de l'Acte II, rapide, avec son époux de retour de voyage, qu'Ausrine Stundyte fait la plus forte impression, à la fois très vive, mais toujours exacte et légèrement survoltée, soit en plein dans le ton de cette farce macabre et ambigüe.
Dans l'acte final, comme dans un calvaire, éclate sa terrible angoisse, portée avec superbe par les violons haletants, prêts à exploser. Par une forte réduction de l'espace scénique, le cadre devient aussi étroit qu'une cellule de prison, au ton vert sale de la folie... Ce strict confinement du spectacle mène bien à l'hystérie. Il en ressort avant tout une musique si profonde, riche et lumineuse qu'elle brise tous les effets dramatiques un peu appuyés – passage à tabac, viol, pillage, etc. Le Chœur « maison » réussit à maintenir bien tendu le flot nerveux. À lui l'ultime chant – et quels frissons !
FC