Chroniques

par bertrand bolognesi

Леди Макбет Мценского уезда | Lady Macbeth de Mzensk
opéra de Dmitri Chostakovitch

Salzburger Festspiele / Großes Festspielhaus
- 21 août 2017
Evguenia Muraveva, révélée en Lady Macbeth de Mzensk à Salzbourg !
© thomas aurin | salzburger festspiele

Pour cette cinquième (et dernière) représentation de l’opéra de Chostakovitch, Nina Stemme, malade depuis quelques jours, est remplacée par une jeune artiste du Théâtre Mariinski, Evguenia Muravova. D’emblée l’on peut affirmer que la découverte de cette grande voix est une révélation : le timbre est extrêmement riche, avec un indéniable pouvoir évocateur, la précision de la ligne ne fait aucun doute, même dans les intervalles les moins aisés, de même que la présence scénique qui impose une incarnation très investie, jusque dans une dynamique généreusement musicale. Comme si cela ne suffisait pas, Evguenia Muravova possède une projection évidente et un physique qui ne peut que retenir les regards. Cet élément prend un poids dans la dramaturgie, avec ce mari proprement aveuglé par la soumission au père, patron qui se pose en dominateur à tout point de vue, jusqu’à la castration de sa progéniture, noyée dans la vodka –cette plastique irrésistible n’échappe pas à la nouvelle recrue des Ismaïlov, on connaît la suite…

Dans la caractérisation psychologique, rarement distribution vocale aura si bien collé à l’option d’une mise en scène. Contrairement à la déplorable habitude de confier le rôle de Boris à un chanteur en fin de carrière (comme ce fut malheureusement le cas il y a quelques semaines, à Munich), le Salzburger Festspiele a convié Dmitri Ulyanov dont on admire la basse saine et puissante, le chant rigoureusement exact et même l’inflexion lyrique. Il ne s’agit pas là d’un détail, loin s’en faut : le personnage gagne à ces qualités une profondeur qui, à elle seule, intègre l’énigme de ce fils pleutre, totalement écrasé – on verra plus loin l’impact de cette carrure dans la production. À l’inverse, on croise ici un Zinovi sacrifié, pourrait-on dire, la petite voix engorgée de Maxime Prater n’honorant guère la partition. Comme le dit le livret, la partie est d’autant plus facile pour Sergueï, ouvrier volontiers vagabond et peut-être un peu voyou, ici doté du bel or fulgurant de Brandon Jovanovich, plus probant encore qu’à Zurich, quelques années plus tôt [lire notre chronique du 13 avril 2013]. Ainsi la situation est-elle efficacement clarifiée par un quatuor familial bien pourvu – les lois ancestrales de la paysannerie russe autorisent de s’exprimer ainsi : en cas de décès d‘un propriétaire, sa veuve et héritière, en se remariant, léguait le domaine à son mari qui adoptait alors son nom à elle, c’est-à-dire celui du défunt (plutôt que les intérêts d’une cellule restreinte, on protégeait de cette manière ceux du clan) – est-il efficacement pourvu pour clarifier la situation.

En homme de théâtre avisé autant qu’inventif, Andreas Kriegenburg, dont nous avions salué le Ring à la Bayerische Staatsoper [lire nos chroniques des 13, 14 et 15 juillet 2013, puis du 13 décembre 2015], dirige ce petit monde au cordeau, tant dans les scènes intimes que dans les grands mouvements d’ensemble, construisant avec la même minutie les protagonistes principaux et les rôles secondaires. Avec la complicité du Salzbourgeois Harald B. Thor, son fidèle décorateur depuis quinze ans [lire notre chronique du 31 mai 2014], Kriegenburg situe l’action dans la cour d’un pachyderme de béton, immeuble soviétique d’habitation qu’on devine intégré à quelque combinat productif placé sous la responsabilité de Boris. Architecture utilitaire, escaliers monumentaux, coursives mal entretenues, fenêtres brisées, les conditions de vie des subalternes des Ismaïlov sont misérables et induisent une obéissance obséquieuse qui dépasse le monde du travail. En toute cohérence, Tanja Hoffmann signe une garde-robe des années quatre-vingt, juste avant l’effondrement de l’URSS. La lumière de Stefan Bolliger est sans pitié, y compris pour ces îlots que sont le bureau de Zinovi et la chambre de Katerina, pièces d’un luxe relatif qui jamais ne parviennent à se rejoindre – le dispositif transforme ces espaces coulissants auquel la structure semble donner naissance : le bureau devient le commissariat (avec ses policiers si désœuvrés qu’ils s’adonnent au tricot, à la peinture ou à la cuisine !) et la chambre se fait cage où sont maintenues les plus dangereuses criminelles en transit vers la Sibérie. Seuls les rêves sont magnifiés d’une aura étrange, y compris les cauchemars shakespeariens de l’héroïne. Mais, contrairement à la récente option d’Harry Kupfer [lire notre chronique du 22 juillet 2017], celle-ci accuse ses limites : le lac noir du dernier acte est métaphorique, certes, mais la double pendaison finale ne fonctionne pas.

Onze ans après sa lecture amstellodamoise [lire notre chronique du 25 juin 2006], Mariss Jansons défend luxueusement l’œuvre, à la tête des excellents Wiener Philharmoniker. Plus qu’une fosse brutale, c’est un élan lyrique qu’il fait entendre, une aspiration au meilleur. Son interprétation donne tout leur poids aux nombreuses supplications de Katerina – combien de fois réclame-t-elle les baisers de Sergueï, que la mise en scène montre batifolant avec une ouvrière le matin des noces ?... Pour la meurtrière, l’amour était la seule solution pour exister, cet amour qui ne dure pas. Jansons fait confiance à Chostakovitch sans surjouer les effets, laissant les traits les plus féroces aller leur chemin pour se mieux concentrer sur l’essentiel : le destin de Katerina.

Pour finir, saluons les voix du Wiener Staatsopernchor (préparées par Ernst Raffelsberger), et un plateau très satisfaisant dont on remarque l’Ivrogne généreusement impacté d’Andreï Popov et les artistes prometteurs de la promotion Young Singers Project : Ilya Koutioukine et Gleb Peryazev.

BB