Chroniques

par bertrand bolognesi

Нос | Le nez
opéra de Dmitri Chostakovitch

Festival d’Aix-en-Provence / Grand Théâtre de Provence
- 12 juillet 2011
© pascal victor | artcomart

La croisée des genres est dans l’ère du temps, semble-t-il. De même que la Bayerische Staatsoper confiait tout dernièrement la mise en scène de Saint François d’Assise de Messiaen à Hermann Nitsch, exposant en ces murs et à la galerie Thomas Modern l’œuvre peinte du performeur, le Festival d’Aix-en-Provence montre, à la Cité du livre et à l’Atelier de Cézanne, le travail du plasticien William Kentridge auquel il fait appel pour réaliser Le nez de Dmitri Chostakovitch. Différence notable, cependant, entre ces démarches : le second met autant de passion et de culture à défendre l’œuvre du Russe que le premier affiche de mépris et de mauvais goût à saboter celle du Français [lire notre chronique du 5 juillet 2011].

Coproduit par le Met’ (New York) et par l’Opéra national de Lyon, ce nouveau Nez conjugue adroitement les avantages d’une distribution bien choisie et d’une scénographie creusée, largement référentielle, à ceux d’une réelle direction d’acteurs, donnant vie à des personnages percutants, quand même s’agit-il des plus éphémères (et l’ouvrage en compte plus d’un). Convoquant ersatz de journaux soviétiques, triturations d’images d’archives, affiches de propagande, etc., William Kentridge place Le nez dans un écrin singulier : celui du tout début des années trente qui virent sa naissance. Référence à l’actualité du compositeur, donc, partant qu’elle croisait étonnamment celle qui inspira Gogol un siècle plus tôt (la nouvelle est publiée en 1836 et l’opéra rédigé entre l’été 1927 et le printemps 1928). Entre Rodtchenko, Malevitch et Maïakovski, la représentation découpe soupentes, boutique de barbier, scène de rue ou cathédrale dans la première esthétique soviétique dont elle ne dédaigne point une certaine naïveté d’attitude sinon de ton, pratiquée au cinéma d’alors (Barnet, par exemple). Nous ne sommes ni dans le vivifiant théâtre de Caurier et Leiser [lire notre chronique du 12 décembre 2004], ni dans l’impressionnante démesure d’Alexandrov [lire notre chronique du 14 novembre 2005], mais bien plutôt dans une fantasque ronde surréalisante qui génialement prend appui sur un ferment aisément décodable. Kentridge n’en est certes pas à son premier coup d’essai en matière de mise en scène d’opéra ; grâce lui soit rendu de signer celle-ci.

Bonne distribution, suggérions-nous plus haut.
Outre l’idéal Kovalev de Vladimir Samsonov s’y font apprécier la superbe vocale du Nez d’Alexandre Kravets, la grande présence de Vladimir Ognovenko en Barbier et la profondeur de timbre de Vassili Efimov en Ivan. Côté dames, saluons la sonore autorité de Margarita Nekrasova en Mme Podtotchina, l’émission gracieuse de Tehmine Yeghiazaryan en Mlle Podtotchina et l’inventive efficacité de Claudia Waite en Praskovia comme en Marchande de bretzels, irrésistiblement drôle. La coqueluche de la soirée, c’est l’Inspecteur de police : une fois de plus, la voix souple et invraisemblablement accrochée du ténor Andreï Popov fait merveille dans ce rôle.

Une ombre au tableau, cependant : la fosse assez lamentablement tenue par l’Orchestre de l’Opéra national de Lyon, sous la battue peu imaginative de Kazushi Ono. Il y a quelques semaines, nous remarquions la baisse de niveau des cordes de cette formation [lire notre chronique du 4 juin 2011] ; tout donne à croire qu’entre-temps aucun miracle soit venu magnifier cette carence. Plus probante s’avère heureusement la prestation des cuivres et des percussions, acteurs primordiaux de cette partition et, pour nécessiter qu’on s’en exprime, cette réserve ne suffit guère à ternir l’excellent moment passé à ce Nez. De même convient-il de remercier le chef japonais de s’en être tenu à l’effectif requis (c’est la moindre des choses), plutôt que d’opter pour la surenchère en démultipliant certains pupitres comme Valery Gergiev le fit autrefois.

BB