Chroniques

par laurent bergnach

Царская невеста | La fiancée du Tsar
opéra de Nikolaï Rimski-Korsakov

Opéra de Massy
- 7 décembre 2004

Venue s’installer en résidence à Massy pour quelques temps, la troupe de l’Opéra-Théâtre Hélikon de Moscou sort à peine des trois représentations de Nabucco (fin novembre) que, déjà, elle nous propose un autre spectacle tout aussi ambitieux : La Fiancée du Tsar. C’est le neuvième des quinze opéra que nous laissa Nikolaï Rimski-Korsakov, à une période de transition où il abandonne peu à peu les sujets purement historiques – La Pskovitaine (1873), La Nuit de mai (1880) – pour des évocations mythiques ou légendaires – Sadko (1898), Le Coq d’Or (1909), etc. Dans cette œuvre composée rapidement durant l’été 1898, le compositeur n’a utilisé aucun thème populaire à part la mélodie Slava.

Dmitri Bertman avait vingt trois ans lorsqu’il fonda le Théâtre Hélikon, après avoir suivi l’enseignement de l’Académie Russe des Arts pour le Théâtre. Depuis 1990, les productions, les récompenses et les invitations se sont succédées. « Il faut en finir, dit-il,avec les concerts en costumes, et les excès de symboles, qui ne peuvent à eux seuls remplacer la vérité dramatique ». Effectivement, ce soir, la trentaine de choristes a fait son tour de piste durant l’Ouverture, dans une demi pénombre, comme pour débarrasser le spectacle de son côté folklorique. On dévoile à l’avance des habits magnifiques mais sobres et fort sombres [noirs pour les opritchniki (опричник), noirs pour les servantes], avec juste quelques ornements discrets qui finissent par s’oublier. Tout ceci prépare la tache rouge que sera la robe de la tsarine, avec ses manches démesurées qui la transforment en camisole. Côté décor, un mur noir, frontal, percé de deux voûtes arrondies, semble rejeter vers nous des protagonistes dont l’intimité ne peut que se partager. Un coffre, des bancs, un candélabre seront les accessoires mouvants qui suffiront à marquer les différences d’actes – de même que les cloches du sonneur, Yuri Ustyugov, personnage de fol en Dieu typiquement russe (юродивый) qui traversera l’histoire en témoin muet. La fumée et les éclairages diffus de l’arrière plan finiront de peaufiner l’ambiance du XVIe siècle despotique d’Ivan le Terrible.

De la genèse de son opéra, Rimski-Korsakov rappelle :

« Le style chantant devait y prédominer, les airs et les monologues être aussi développés que le permettrait la situation dramatique ; les ensembles vocaux devaient être des ensembles véritables, achevés, et non des imbrications occasionnelles et momentanées de voix, comme le dictaient les exigences modernes de la prétendue vérité dramatique, selon laquelle deux personnages ou davantage ne doivent pas parler ensemble ».

Si Ekaterina Trebeleba (Marfa) disposait d’une technique excellente et d’aigus faciles, son chant était moins émouvant que celui de ses consoeurs, Ekaterina Oblezona (Duniasha) à la voix moins assurée mais d’une belle couleur, et surtout le mezzo Larissa Kostyuk. L’interprète de Lubasha séduit par son chant nuancé dès l’air a cappella, mais aussi par ses talents de comédienne ; quand elle dit avoir oublié ses origines et son clan pour Griaznoï, on songe à toutes ses femmes, Médée et Cio-Cio-San en tête, qui ont fait de même et, sans connaître cet ouvrage, on devine qu’elle en sera l’émouvante héroïne.

Côté masculin, Sergeï Moskalov (Griaznoï) aura surpris par un chant d’abord couvert et par un timbre rocailleux, agréable, qui apporte un côté sauvage au personnage ; le baryton prendra toute son envergure dans la seconde partie. Les deux basses Alexandre Kiselev (Sobakine) et Mikhaïl Gujov (Maluta Skuratov) s’en sortent admirablement. Quant au ténor Mikhaïl Serytchev (Bomelius), il fera preuve d’une puissance domestiquée, d’un chant magnifiquement mené qu’on espère réentendre au plus vite dans un rôle plus conséquent. Les chœurs méritent également d’être signalés.

Malgré quelques petites maladresses de mise en scène, la représentation gagnera en émotion, avec des moments réussis, comme la décision de vengeance de Lubacha – tu me payeras ce rire – ou le cri que pousse Duniasha lorsqu’est prononcé le nom de la future Tsarine. Dans la fosse, Evgueni Brajnik a dirigé ce drame avec une vivacité qui ne cède pas au pathos.

LB