Chroniques

par françois cavaillès

A midsummer night's dream | Le songe d’une nuit d’été
opéra de Benjamin Britten

Grand Théâtre, Genève
- 28 novembre 2015
à Genève, nouvelle production du trop rare Midsummer night's dream de Brit(ten
© gtg | carole parodi

Bientôt 2016, où surviendront les commémorations de la mort de Shakespeare, il y a quatre cents ans, et celle de Benjamin Britten, voilà quarante ans. Sans doute sera-ce l'occasion de fêter doublement A midsummer night's dream, c'est-à-dire l'opéra créé en 1960 et la pièce publiée en l'an 1600. Bien qu'il soit assez rarement à l'affiche sur le continent, il s'agit d'un ouvrage à redécouvrir encore et encore : à Genève, une nouvelle production de cette œuvre rare le rappelle avec générosité.

C'est d'abord et surtout le décor très surprenant (dont on ne révélera pas ici le secret) qui marque les esprits. Signée Ezio Toffolutti, la scénographie partage l'esprit sarcastique, érotique et fluide de la mise en scène confiée à Katharina Thalbach, actrice et femme de théâtre berlinoise. Sur une toile de fond explicite mais aussi fort astucieuse, le théâtre l'emporte sur la poésie. Les êtres fantastiques inventés par Shakespeare prennent chair très activement, à commencer par les esprits, aux tenues plutôt clownesques et futuristes. Le chœur des fées est bien assuré par la Maîtrise du Conservatoire populaire de Musique de Genève, tandis que le contre-ténor Christopher Lowrey compose un Oberon des plus attachants, aux élans magiques. Son rôle grandit tout au long de l'opéra, jusqu'au bref duo final réussi avec le soprano Bernarda Bobro, pleine de maîtrise en reine Titania.

Sans chanter, le Puck d'Anna Thalbach, actrice et comédienne ici au service de sa mère, effectue de superbes entrées et sorties en scène, mais demeure – hélas ! – limité au registre du bouffon. Puis, apparus au travers d'une forêt d'hommes-arbres, les jeunes Lysander et Hermia semblent tout de suite plombés par une élégance vieillotte (sortie peut-être de Mary Poppins ou de Tom Sawyer). Leur déclaration d'amour est jouée sur le ton de la parodie sans que le ténor Shawn Mathey et le mezzo-soprano Stephanie Lauricella négligent dans leur chant romantisme et sincérité.

De fait, le message de la mise en scène fort théâtrale est clair, insistant de manière coquine sur le plaisir naturel et joyeux des élans de Titania et du brave Bottom – doté de certains membres de l'âne –, ou bien soulignant, au deuxième acte, le désenchantement des couples dès les charmes rompus par Oberon (belle, courte scène offensée de Stephanie Lauricella, notamment). Suivant le condensé de l'intrigue shakespearienne, le baryton Stephan Genz (Demetrius) et le soprano Mary Feminear (Helena) forment un autre couple étrange, dynamique et agréable dès le premier acte. Le rythme de feu follet, les lumières filtrées et le jeu de scène original, mais ni dramatique, ni comique, désorientent le spectateur au regard fixé sur ce lieu de passage semblant épargné par la mort et même par la simple vie terrestre commune – ce Songe est sûrement une redoutable gageure pour tout metteur en scène.

Les artisans forment un troisième ensemble compact, farceur et enjoué, qui triomphe au dernier acte dans une parodie savoureuse, jouant habilement du théâtre dans le théâtre. Parmi eux, la basse Alexeï Tikhomirov (Bottom) se distingue par une agilité vocale, théâtrale et comique remarquable et remarquée par un public de plus en plus complice, et ce jusqu'au mariage heureux (mais embourgeoisé) de Theseus et Hippolyta, interprétés avec soin par le baryton Brandon Cedel et le mezzo-soprano Dana Beth Miller.

Dans ce troisième acte, la scénographie se fait beaucoup plus classique, ce qui permet, il faut le dire, de mieux apprécier la musique. Là aussi, le défi paraît grand de suivre la cadence comique tout en ménageant les instants féériques. Le contrat est bien rempli par l'Orchestre de la Suisse Romande dirigé par Steven Sloane. Le génie de Britten ne s'affirme toutefois pas vraiment sous la forme lyrique et, sans jugement péjoratif, il pourrait ne s'agir « que » d'un semi-opéra ou d'un masque. Ainsi, la demande finale d'indulgence de Puck est si bienvenue que le bon public joyeux croit ressortir du Songe comme d'une grande œuvre. Un opéra plein de malices !

FC