Chroniques

par bertrand bolognesi

Accademia Ottoboni
cinq opus de Luigi Boccherini

Innsbrucker Festwochen der Alten Musik / Spanischer Saal, Schloß Ambras
- 11 août 2018
Accademia Ottoboni joue Luigi Boccherini dans la Spanischer Saal (Schloß Ambras)
© michael zimmer | innsbrucker festwochen

Pour la quarante-deuxième année, les Innsbrucker Festwochen der Alten Musik proposent durant dix-sept jours plus d’une vingtaine de concerts et trois productions lyriques – cette fois, il s’agit de Semele d’Adolf Hasse (à partir du 25 août), Apollo e Dafne de Francesco Cavalli (à partir du 20) et Didone abbandonata de Saverio Mercadante que nous découvrions hier soir [lire notre chronique de la veille]. Musique chantée, pour la scène ou non, profane et sacrée, musique instrumentale, répertoire chambriste et récital, tous les genres y sont honorés. Après un moment à deux voix dans la Nikolauskapelle, à 13h [lire notre chronique du jour], restons dans l’enceinte du Château d’Ambras pour la soirée, donnée en la festive Salle Espagnole par Accademia Ottoboni. Cet ensemble à géométrie variable fondé à Rome en 2004 s’est spécialisé dans l’interprétation sur instruments anciens d’œuvres baroques et classiques.

Il est rare de pouvoir entendre un concert monographique. Aujourd’hui, nul chassé-croisé d’un compositeur l’autre : il n’y en aura qu’un, ce qui est belle initiative pour se plonger au mieux dans un monde. Si l’on retient que le Toscan Luigi Boccherini fit sa carrière à la cour d’Espagne, on oublie des débuts brillants en Italie et à Vienne, ainsi qu’un passage par Paris où l’on prisa fort son classicisme inventif. Commençons par le Divertimento à six en la majeur G.463 (flûte, deux violons, alto et deux violoncelles), écrit en 1775. Dans une sonorité caressante, nos musiciens entament élégamment l’Allegro moderato dans une lumière chaleureuse favorisée par la qualité de l’écoute mutuelle, fort complice. Le raffinement de l’abord convainc d’emblée. Plus enlevé, dans son amorce deciso, de l’Allegro assai l’on apprécie surtout la déclinaison centrale, délicatement obombrée, quand la reprise du motif initial n’est point dépourvue d’une certaine morbidezza. Enfin, mi-figue mi-raisin, fraîcheur grave et joie contenue, les variations de l’Amoroso et leurs secrets laissent songeur.

La moitié des seize quintettes pour guitare et quatuor à cordes de Boccherini survécurent jusqu’à notre siècle. Celui en mi mineur G.451 fut conçu tard, six ans avant la disparition du compositeur. Il débute par un Allegro moderato mélancolique, faisant miroiter son intrinsèque tourmente à l’encontre d’un motif glorieux sans cesse contrebalancé de demi-teintes tant savantes qu’inquiètes. Après le flûtiste Manuel Granatiero, il ne fait aucun doute, à l’écoute du guitariste Francesco Romano, que s’expriment là d’excellents musiciens. À l’exquise tendresse d’un Adagio confit dans une touffeur lasse succède un Menuet qui marie une verve folkloriste à une inspiration Sturm und Drang. Une conduite avisée de la dynamique en cisèle les charmes. Les variations contrastées de l’Allegro conclusif n’excluent pas une discrète sévérité qui semble définir la galanterie personnelle de Boccherini.

Après l’entracte, retour à une œuvre contemporaine de celle qui ouvrait la soirée, le Quintette en sol mineur pour flûte et quatuor à cordes G.426 fort proche d’Haydn quant à l’Allegro con un poco di moto, d’une humeur changeante. S’enchaîne un Minuetto sinueux – rien d’une danse, plutôt une introspection puissamment méditative, par-delà son Trio plus optimiste. La guitare est de retour pour le Quintette en ré majeur G.448 de 1799 dont l’opalescente Pastorale, presque harpistique, fait place à l’altier Allegro maestoso, théâtral même, dont l’intonation est malencontreusement perturbée – la grande chaleur dans la salle, qui malmène l’accord, ou une fatigue momentanée des instrumentistes, qui sait… Grave assai est un court récitatif qui introduit le fameux Fandango, ritournelle entêtante parente des folie baroques, ici donnée dans une sonorité richement ambrée, rehaussée par les castagnettes avec lesquelles la violoncelliste Rebecca Ferri dirige poliment l’accelerando de principe. Pour finir, nous retrouvons La musica notturna delle strade di Madrid en ut majeur G.324, partition plus audacieuse de 1780 qui convoque un quintette à deux violoncelles. « Remarque : ce quintettino décrit la musique qui traverse les rues de Madrid, la nuit, à partir de l’Ave Maria au couvre-feu. Rien de tout cela ne vérifie la rigueur du contrepoint, mais nous conduit à rendre la vérité de ce que nous prétendons dépeindre », indique Luigi Boccherini sur son manuscrit [traduction du signataire de cette chronique]. D’un tel programme on ne se lasse pas, depuis les liminaires cordes campanaires jusqu’au maestoso un brin grandiloquent, en passant par un menuet d’aveugles et bien d’autres personnages étranges qui semble surgir des moins horrifiques des quatorze Pinturas negras de Goya, encore à venir.

Avec ce très beau moment, dispensé par Accademia Ottoboni – outre les musiciens cités, félicitons les violonistes Helena Zemanova et Ayako Matsunaga, Teresa Ceccato à l’alto et Marco Ceccato au violoncelle – se referme déjà notre présence à l’édition 2018 du festival tyrolien. Nous apprenons qu’il développe dorénavant un département audiovisuel qui va permettre de fixer pour l’avenir les témoins précieux des résurrections ici faites, Didone abbandonata inaugurant une collection DVD dont nous nous réjouissons déjà.

BB