Chroniques

par bertrand bolognesi

Accentus dirigé par Laurence Equilbey
Antonín Dvořák | Stabat Mater

Cité de la musique, Paris
- 11 juin 2008
Laurence Equilbey joue le Stabat Mater d'Antonín Dvořák à la Cité de la musique
© dr

Plutôt que de s'atteler à la version orchestrée généralement admise du Stabat Mater de Dvořák, Laurence Equilbey se penche sur la première mouture achevée (pour solistes, chœur et piano), reconstituée par le jeune compositeur et musicologue Miroslav Srnka pour Bärenreiter – une version qu’elle a d'ailleurs créée en février 2007 à Nantes puis gravée chez Naïve. À propos du cycle de Chants bibliques Op.99 commencé en mars 1894, Guy Erismann précise qu'en « ces moments de trouble intérieur, c'est tout naturellement que le croyant qu'il est [Dvořák] va chercher paix et lumière dans la lecture biblique (…). On y voit non seulement un ouvrage de piété dans l'intimité de Dieu et de son père souffrant, mais aussi un hommage à la langue nationale la plus pure » (in Antonín Dvořák, le génie d'un peuple, Fayard, 2004). L'exécution du Stabat Mater est introduite par six extraits de ce recueil conçu pour mezzo-soprano, basse et piano.

Dès Ténèbres et nuée emprunté au Psaume 96 (n°1 de la partition), le piano de Brigitte Engerer se montre impératif, tout en s'avérant coloré et sagement circonscrit dans la place qui doit être la sienne. Du Psaume 54 (n°3), elle souligne l'ombre d'une parenté lisztienne, dans les premières mesures, laissant humblement sourdre le sommaire choral du Psaume 22 (n°4), dans un legato d'orgue. Tonique et tendre dans Mon Dieu, je chanterai pour toi (Psaume 143, n°5), l'extrême fiabilité de ses choix de frappes se laisse percevoir avec plus d'évidence encore dans le n°7 (Psaume 136), entièrement maintenu dans une nuance raffinée qui en assure l'étrange permanence de climat global et le fascinant paysage. On goûte la grande qualité d'impact, l'étonnant velours de l'aigu et le timbre profond et chaleureux du mezzo Renata Pokupić, simple comme la Grâce dans L'Eternel est mon berger (n°4), d'une parfaite unité instrumentale dans le n°7. Avec un grave magnifiquement granuleux, un chant toujours sensible, un phrasé élégant et généreux, la basse Michael Nagy retient l'écoute, malgré un haut-médium parfois trop bas, une intonation difficile, en général (cette constatation se confirmera dans la suite de la soirée).

À ces deux solistes viennent s'ajouter deux autres voix. Alexandra Coku est un soprano dont la lumière se dépose comme un ange sur le premier mouvement. À sa diction plutôt lâche, on perd tout de même son latin ! Le duetto du cinquième épisode bénéficie cependant d'une exquise délicatesse de nuance. Dans la partie de ténor, nous retrouvons le jeune Eric Stoklossa entendu à Aix-en-Provence l'été dernier [lire notre chronique du 16 juillet 2007] : la clarté du timbre est idéale, la souplesse du chant convainc. Avec la complicité de Brigitte Engerer, Laurence Equilbey dessine discrètement la troublante litanie introductive avec une expressivité judicieusement mise au service des quelques effets auxquels le compositeur a recouru – ainsi de la respiration séparant Stabat et Mater, irrésistiblement dramatique. Les échanges choraux sont minutieusement soignés, la dynamique des tutti paraît tant puissante que contenue dans une réserve qui attend l'Amen résurrectionnel final pour se déployer.

Équilibré, le quatuor solistique signe une interprétation maîtrisée – notamment de la redoutable harmonie du Qui es homo. Michael Nagy « miaule » un rien l'appel lyrique à l'Imitation du Christ (quatrième mouvement), tandis que Renata Pokupić s'engage plus que dans l'opus 99, livrant un Inflammatus et accensus en manière de Lied, tout simplement superbe.

BB