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Chroniques
Adriana Lecouvreur | Adrienne Lecouvreur
opéra de Francesco Cilea
Adriana Lecouvreur n’avait pas été représenté à l’Opéra national de Paris depuis la production du regretté Jean-Luc Boutté, en 1993. Mirella Freni, au crépuscule de sa grande carrière, avait été amplement ovationnée, à juste titre, dans le rôle de l’actrice éponyme au destin tragique et mystérieux.
Du 23 juin au 15 juillet, Angela Gheorghiu reprend le flambeau, en alternance avec Svetla Vassileva, dans la réalisation de David McVicar qui date de 2010 et qu’on put voir à Londres, Vienne, Barcelone et San Francisco. Dans le DVD paru peu après les représentations londoniennes de Covent Garden, le comte Maurice de Saxe n’était autre que l’irrésistible et enjôleur Jonas Kaufmann [lire notre critique]. Dotée de somptueux décors et de très beaux costumes, cette production, qui situe l’action dans les coulisses d’un théâtre, est classique et traditionnelle, sans les provocations espiègles propres au metteur en scène écossais. Elle avait été un triomphe en son temps, même si la diva roumaine apparaissait déjà un peu sous-dimensionnée pour le rôle, au regard de la vaillance et de l’expressivité flamboyante et déchirante du ténor. Cinq ans ont passé et Angela Gheorgiu a toujours une fort jolie voix qu’elle semble avoir du mal à projeter dans le vaisseau Bastille. N’en déplaise à ses fans irréductibles, on a la sensation qu’elle économise ses moyens tout au long de l’œuvre pour laisser la meilleure impression possible à la fin avec l’air Poveri fiori. Du coup, le fameux air d’entrée Ecco : respiro appena est insipide et la messa di voce qui est censée le conclure en apothéose passe à la trappe. Pire encore, Angela en Adrienne doit incarner la légendaire tragédienne de la Comédie française. Elle la travestit en midinette, minaudant par-ci, posant par-là. Le monologue de Phèdre, déjà difficile à déclamer pour les plus impliquées, frise le ridicule.
À ses côtés, Mauricio n’a rien du sex appeal de son prédécesseur, c’est le moins qu’on puisse dire. Marcelo Álvarez semble empoté et lourdaud. Peu crédible, il a du mal à faire passer la moindre émotion dans la scène finale de l’Acte IV qu’on a connue ailleurs déchirante. La voix est toujours superbe, même si son premier air, La dolcissima effigie sorridente, le trouve impavide et en méforme. Il retrouve un certain héroïsme dans le récit de la bataille de Courlande, Il russo Mencikov.
Luciana d’Intino, qui succède à Olga Borodina, a toutes les qualités requises pour affronter la tessiture vériste de la plus cruelle mezzo de l’histoire de l’opéra. Sa voix forte et brillante sait rester malgré tout musicale, même si l’on aurait souhaité une incarnation moins plébéienne de la Principessa di Bouillon. À l’opposé de cette héroïne vénéneuse, Alessandro Corbelli, qu’on a beaucoup aimé dans les rôles bouffes rossiniens ici, campe un Michonnet plein de bonté et de tendresse. Sa présence à elle seule redonne un peu de vie à l’ennui qui règne sur scène. Dommage que sa bonne voix soit déjà très usée et que son air d’entrée, Michonnet su! Michonnet giu!, soit si douloureux. Les aigus sont tirés et le vibrato gênant. L’Abate de Raúl Giménez et le Principe de Wojtek Smilek sont sans reproches, tout comme les autres comprimari.
À la tête de l’Orchestre et des Chœurs de l’Opéra national de Paris, Daniel Oren fait flamboyer la partition de Francesco Cilea. Le chef israélien est devenu spécialiste des partitions romantiques et postromantiques italiennes, pour le plus grand bonheur d’un public qui l’accueille toujours chaleureusement. Il y a une vingtaine d’années, il accompagnait à Rome l’une des plus grandes Adrienne du XXe siècle, Raina Kabaivanska qui affrontait une autre légende vivante, Fiorenza Cossotto. Tempus fugit…
MS