Chroniques

par irma foletti

Adriana Lecouvreur | Adrienne Lecouvreur
opéra de Francesco Cilea

Opéra de Saint-Étienne
- 28 janvier 2018
À Saint-Étienne, Fabrizio Maria Carminati joue Adriana Lecouvreur, de Cilea
© cyrille cauvet | opéra de saint-étienne

L'Opéra de Saint-Étienne accueille le spectacle, dont il est coproducteur, donné en ouverture de saison monégasque. Comme en novembre dernier sur la scène du Forum Grimaldi, la mise en scène de Davide Livermore s’avère à la fois élégante et originale ; elle séduit pleinement sur le vaste plateau du Grand Théâtre Massenet, qui a déjà accueilli dans le passé de grosses productions, par exemple Il barbiere di Siviglia réglé par Michieletto, hébergé depuis à l'Opéra Bastille.

Un comédien annonce la couleur dès le lever de rideau : Bienvenue en 1914 ! On découvre alors un plateau tournant avec, en son centre, un imposant cadre de scène passablement décrépi. Au delà du disque central, un anneau tourne également, sur lequel on place les cinq tables de maquillage au premier acte à la Comédie Française, mais aussi un jeu de cordes pour la machinerie, des gradins en bois, etc. Ces décors mobiles, parfois en sens opposés, créent évidemment de la vie et du mouvement sur le plateau, sans pour autant tomber dans l'excès du Tournez manège. À l’Acte II le cadre de scène est transformé en cheminée monumentale flanquée de deux hautes fenêtres, puis le III figure un hôpital de campagne dans le théâtre, peuplé d'infirmières et de blessés sur des brancards. Le réalisateur transpose ainsi la pièce près de deux siècles plus tard et met en scène l'illustre cadette de la Lecouvreur, Sarah Bernhard, qui participa à l'effort de guerre pendant le conflit de 14-18. On la voit passer avec bienveillance auprès des blessés, tandis que l'abbé de Chazeuil se fait un malin plaisir d'administrer une piqûre dans l'arrière-train d'un soldat. Au IV, l'actrice amputée d'une jambe enfile sa prothèse, tristement assise sur son lit, dans le théâtre, un poêle placé à gauche dans lequel elle jette le bouquet de fleurs empoisonnées. Comme pour son Ciro in Babilonia donné à deux reprises au festival Rossini de Pesaro (il existe un DVD Opus Arte), Livermore utilise aussi quelques séquences vidéo en gros plans, de vraies fausses images en noir et blanc à l'époque du cinéma muet, pour un résultat grisant.

Quant à la partie vocale, ce sont d'abord les débuts de Béatrice Uria-Monzon dans le rôle-titre qui font figure d'événement. Passé l'air d'entrée Io son l'umile ancella où l'intonation n'est pas encore parfaite, elle prend rapidement ses marques et interprète une Lecouvreur d'un fort impact. Le vibrato reste sous contrôle, le registre aigu est souverain, et ce sont même les quelques notes les plus graves qui la mettent en inconfort. Cela paraît très surprenant quand on pense au nombre de fois où elle a interprété Carmen dans sa carrière, mais c’était avant qu'elle ne passe à des emplois plus aigus comme Tosca ou Chimène. L'actrice est aussi fort belle en scène dans les somptueux costumes de Gianluca Falaschi – diverses robes brillantes ou lamées et chapeaux à plumes des Années folles –, elle récite en vraie tragédienne et procure beaucoup d'émotion dans son air crépusculaire du IV, Poveri fiori. En Maurizio Sébastien Guèze, qui semble avoir réglé ses problèmes récurrents de justesse et d'effets larmoyants ces dernières années, est une heureuse surprise. La voix s'est à présent assainie, l'aigu est vigoureux, bien conduit et de belle couleur, robuste également jusqu'au bout de la représentation. Les notes sont généreuses dans L'anima ho stanca, un aigu est diminué délicatement sur le souffle ; il ne flanche pas non plus sur l’air martial du III, terminant en agitant un drapeau tricolore à bout de bras. Troisième rôle par ordre d'importance, la Principessa di Bouillon de Sophie Pondjiclis suscite une grosse déception. L'instrument manque cruellement d'épaisseur, les graves poitrinés sont dépourvus d'élégance et n'impressionnent nullement, les aigus sonnent plus sonores mais quelques sons fixes penchent vers le cri. L'actrice n'a pas non plus l'allure naturelle d'une Princesse, on est décidément loin de la volcanique Marianne Cornetti à Monte-Carlo...

Marc Scoffoni dessine un Michonnet plus jeune que d'ordinaire, malgré le maquillage qui le vieillit ; son baryton clair et bien projeté change des habituels vieux barbons. Il n'en est que plus émouvant dans les lamentations d'amoureux malheureux. La basse Virgile Ancely (Bouillon) et le ténor Carl Ghazarossian (Chazeuil) ont un peu le même défaut, chacun dans sa tessiture, à savoir une puissance limitée et des fragilités récurrentes dans l'aigu. Les quatre sociétaires de la Comédie Française sont parfaitement en situation : Cécile Lo Bianco (Jouvenot), Valentine Lemercier (Dangeville), Mark van Arsdale (Poisson) et Georgios Iatrou (Quinault). Préparé par Laurent Touche, le Chœur de l’Opéra de Saint-Étienne fait preuve de cohésion et de concentration, sans faiblesse.

Enfin, le chef Fabrizio Maria Carminati paraît complètement dans son élément : la musique est magnifique, les cuivres sonnent généreusement mais sans excès, le tapis de cordes est de très belle étoffe. À retenir enfin que l'Opéra de Marseille, autre coproducteur, reprendra ce spectacle au cours de ses prochaines saisons, avec une distribution vocale complètement différente.

IF