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Chroniques
Aida | Aïda
opéra de Giuseppe Verdi
Venue de l’Opéra de Nice, cette production d’Aïda réunit un plateau vocal excellent, homogène dans le style et l’expression, élégamment vêtue des costumes de Jean-Pierre Capeyron également responsable des décors subtilement éclairés par Jacques Chatelet. Ce spectacle met à nu le drame amoureux et politique et impose la musique au public dont l’attention, soutenue par une habile mise en scène de Paul-Émile Fourny, n’est jamais distraite. Mais, pour qu’intacte l’illusion s’empare de nous, pour que le plaisir se saisisse de l’auditeur, il faut que la magie du chant éveille ce frisson étrange qui rend captif.
Aida, l’ouvrage le plus populaire de Verdi, convainc les spectateurs, venus nombreux, par les qualités expressives et vocales d’interprètes vivant avec passion tragédies amoureuses et politiques qui déchirent les personnages du drame imaginé par le grand égyptologue Auguste Mariette qui place l’action dans le cadre de l’Égypte ancienne dont Antonio Ghislanzoni a tiré le livret. Le jeune Rani Calderón conduit de sa baguette précise l’Orchestre Lyrique de Région Avignon Provence, phalange dont les qualités de justesse et d’équilibre sonore sont à remarquer. Sa direction canalise les énergies pour valoriser une partition incisive et raffinée tant sur le plan de l’architecture dramatique et sa progression savamment ménagée que par l’invention musicale constante qui fait alterner moments intimistes et spectaculaires scènes de chœur assurées par les formations maison (Nice et Avignon).
Le soprano américain Indra Thomas, dans le rôle-titre où elle apparut déjà à plusieurs reprises, pure voix, pure musique, chante le langage subtil du sentiment, parcourant sans faille la palette vocale, lumineuse dans les aigus, profonde et douloureuse dans les graves. La noblesse de sa présence scénique incarne une Aïda déchirée entre l’amour et le devoir, habitée par le sentiment d’une issue impossible au bonheur sur terre. Le duo des cœurs aimants qu’elle forme avec le ténor Jeong-Won Lee, Radamès héroïque et fragile, exalte l’aspiration à l’idéal et au rêve qui lie les amants. Elena Manistina, mezzo-soprano russe à la voix veloutée, insuffle à Amneris les couleurs de son timbre intense pour que résonnent la passion sans retour de la fille de Pharaon, les feux du désir interdit qui la dévorent avant les remords et sa rédemption finale. Tous les artistes de cette production témoignent d’un réel engagement. Indiquons, pour les autres rôles, le baryton mexicain Carlos Almaguer, Amonastro crédible, Jean Teitgen (baryton-basse), Roi d’Égypte emprunt d’autorité, Nicolas Courjal, Ramfis, la Sacerdotessa de Ludivine Gombert, enfin, Julien Dran (ténor) en Messager.
Conçu comme un opéra à grand spectacle, l’ouvrage se clôt dans l’intimité d’un tombeau où les héros, enfermés vivants, sont voués à mourir étouffés. « Pour le finale du dernier acte, écrit Verdi à Ghislanzoni, je voudrais que l’on évite l’habituelle convention des morts d’opéra […]. Je voudrais quelque chose de doux, d’éthéré, un adieu simple à la vie. Aïda s’endormirait calmement dans les bras de Radamès, tandis qu’Amneris à genoux sur leur tombe prononcerait un Requiescat in pace ». En ces soirées du printemps naissant, le vœu de Verdi est exaucé.
MH