Chroniques

par christian colombeau

Aida | Aïda
opéra de Giuseppe Verdi

Chorégies d’Orange, Théâtre antique
- 8 juillet 2006
Aida (Verdi) : production décevante aux Chorégies d'Orange 2006
© dr

Précédée d’un battage publicitaire sans précédent dans l’histoire des Chorégies, cette nouvelle présentation d’Aida ne séduit que les touristes en mal de photos souvenirs ou, pire, les inconditionnels du ténor Roberto Alagna qui offre sa prise de rôle aux neuf mille spectateurs rassemblés sur les gradins du Théâtre antique, en ce caniculaire samedi. Le spectacle est aussi dans la salle, avec sa brochette de vedettes de la scène et de l’écran, de dirigeants politiques ou « ex » de tous bords, dont les actuels ministres de la Culture et de l’Intérieur, ce dernier copieusement sifflé car son arrivée tardive fait débuter la représentation une bonne demi-heure après l’horaire annoncé – toujours les mœurs politiques laisseront perplexe…

Bonne nouvelle, le toit de verre (soixante tonnes) conçu pour protéger des intempéries l’auguste mur (mais non le public) n’atténue en rien la qualité acoustique du lieu magique. Ceci dit, il n’est pas certain que la sixième production de Charles Roubaud restera dans les annales. Ses défilés vus et revus, ses projections et animations vidéastiques qui, malgré les beaux costumes sobres de Katia Duflot, ne parviennent jamais à meubler un certain vide théâtral. Ridicule et brouillonne, la chorégraphie achève tout. L’on ne sent rien, dans ce confortable à-peu-près, de la dénonciation d’un certain colonialisme, du pouvoir ecclésiastique, du fanatisme religieux ; bref, de tout les détestations que le compositeur y a mises.

Pour sa première apparition sur le ring vauclusien, l’Américaine Indra Thomas fait forte impression. Cette spécialiste du negro-spiritual et de Gershwin délivre un chant extatique d’une rare splendeur, surtout à partir de l’acte du Nil où rarement la souffrance de l’héroïne partagée entre devoir et amour ne fut vécue avec autant de dignité et de noblesse. Face à elle, l’Amneris de Marianne Cornetti tient la route. Loin des harpies traditionnelles, voilà une fille de Pharaon digne, élégante, racée, exceptionnelle de sentiment et de lyrisme. Son père – médiocre, pas toujours dans la portée – et même Ramfis (fatigue ou méforme passagère de cette voix immense au chant pourtant inepte) laissent curieusement leur place aux percutantes interventions de la Prêtresse et du Messager.

Le véritable triomphateur de la soirée restera, sans doute aucun, le coréen Seng-Hyoun-Ko (Amonasro), vrai roi barbare dans sa sauvagerie et son port altier. Surprenante composition… Pour le plaisir : mettez dans un ordinateur les voix des plus grands titulaires italiens anciens et modernes (Gobbi, Sereni, Guelfi e tutti quanti), malaxez-les avec un solide zeste d’Ernest Blanc, un soupçon de Sherril Milnes (dans ses bons jours), programmez, copiez-collez, et vous aurez la voix exacte de tout postulant au Théâtre antique, percutante, bien placée, insolente, prenante, franche dans ses attaques, musicale toujours, qui plus est sincère. Il reviendra l’été prochain pour Il Trovatore :on y sera et soyez-y !

Notre tenorissimo national, dans tout ça ?
Au salut final, un bouquet de roses à la main, il n’évite pas une violente bordée de huées. Capitaine bouffi d’orgueil promu un soir Maréchal, sa huitième participation au Chorégies provoque un certain malaise. Sans avoir une projection vocale suffisante, prenant des libertés inouïes avec la partition, masquant tant bien que mal bon nombre de faiblesses, la vedette laisse sur sa faim et ne convainc que son fan club.

En revanche, rien à redire de la direction de Michel Plasson qui convie à une véritable fête. D’une lenteur un rien solennelle dans la première partie, on retrouve ensuite avec plaisir son drive prodigieux, son génie du mouvement et du son, au service d’un parfait dialogue entre orchestre, solistes et chœurs. Ces derniers – réunion des forces des opéras d’Avignon, de Monte-Carlo et du Capitole de Toulouse – s’avèrent irréprochables, comme toujours.

CC