Chroniques

par gilles charlassier

Aida | Aïda
opéra de Giuseppe Verdi

Opéra royal de Wallonie, Liège
- 26 février 2019
Speranza Scappucci joue Aida, en fosse de l’Opéra royal de Wallonie
© opéra royal de wallonie-liège

Stefano Mazzonis di Pralafera, directeur de l’Opéra royal de Wallonie, à Liège, n’est pas de ceux qui souscrivent aux iconoclasmes violant parfois la littéralité des livrets. La nouvelle production d’Aida qu’il règle pour sa maison témoigne de ce respect des œuvres. Costumes et décors, dessinés respectivement par Fernand Ruiz et Guy Lecat, ne transgressent guère la polychromie archéologique, dans une fidélité au pittoresque exhumé par les travaux de Mariette, égyptologue français qui a suggéré le sujet de l’opéra de Verdi au moment de l’inauguration du Canal de Suez.

Les panneaux mobiles aux allures de mur de brique rouge se révèlent, au gré des éclairages de Franco Marri, tapissés de cartouches de hiéroglyphes – dont on ne cherche pas la signification au delà de l’efficacité décorative –, tandis que les tissus adaptent quelque peu les vêtures et les ornements chlorophylliens au confort et à l’œil contemporains, plus accoutumés aux reflets du synthétique qui ne déparent point avec le chamarré de l’ensemble et de la chorégraphie. Réglés par Michèle Anne De Mey, les mouvements offrent une tribune à la vitalité de corps puisés, au moins en partie probablement, dans les effectifs du conservatoire, où les jumelles peuvent, à l’occasion, compenser la lisibilité et la coordination d’une gestuelle n’évitant pas toujours la redondance. La topographie dramaturgique, évoquant à la fois le surplomb de l’autorité des prêtres et la profondeur de la tombe, fait entendre des vérins qui se prolongent éventuellement après points d’orgue et changements de tableau. Sensible à la dimension intimiste de l’intrigue dont il isole régulièrement les protagonistes du trio amoureux, le spectacle n’oublie pas pour autant l’enveloppant manteau du chatoiement folklorique.

Avec deux solistes pour chacun des trois rôles principaux, la série de représentations évite le piège de la discrimination qualitative de la double distribution avec trois couples d’amants – le Radamès de Marcello Giordani chante avec les deux Aida. Pour la première, le ténor sicilien fait valoir une vaillance désormais émérite qui réserve néanmoins une indéniable maîtrise dans le voilement expressif du timbre. Il fait preuve d’une endurance que l’effort et les ans n’entament pas. En esclave brûlant de passion, Elaine Alvarez manque ni de puissance ni d’engagement, même si l’émission accuse des accents métalliques qui fragilisent un peu la séduction frémissante des piani. Aucune réserve, en revanche, pour l’Amneris de Nino Surguladze : l’homogénéité ronde, sinon opulente, du mezzo géorgien, fait vibrer la flamme de sentiments contradictoires portée par une présence aussi juste que l’instinct stylistique.

En Amonasro, Lionel Lhote constitue l’autre grande voix de la soirée. Dès son entrée en scène, il affirme une autorité naturelle et un sens de la caractérisation au plus près de la musique qui dépasse aisément la modestie du timbre. Le Roi d’Égypte de Luciano Montanaro n’est, lui, que solide, confiné dans un paternalisme çà ou là un peu engorgé. Luca Dall’Amico possède la carrure robuste d’un Ramfis quand Maxime Melnik s’acquitte des interventions passablement vulnérables du Messager. Préparé par Pierre Iodice, le Chœur emplit honorablement leur office. Sous la houlette de Speranza Scappucci, les pupitres de l’Orchestre de l’Opéra royal de Wallonie font vivre les couleurs et les émotions d’une partition servie avec un engagement évident, nourrissant un sens certain du drame. Une lecture assurément verdienne !

GC