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Chroniques
Aida | Aïda
opéra de Giuseppe Verdi
Créée en 2017 à l’English National Opera de Londres et reprise à Genève par Joe Austin, la production de Phelim McDermott [lire notre chronique de The perfect American] invite le public, comme indiqué dans la brochure de salle, à « réfléchir au monde dans lequel nous vivons ». En fait de réflexion sur notre monde, la mise en scène peut se résumer à des choix esthétiques originaux et à une marche triomphale très particulière. Un petit pan du rideau s’ouvre lentement et s’immobilise en pointe pendant l’Ouverture, puis découvre un plateau où sont placées des formes géométriques parmi quelques palmiers : une grande pointe de flèche très élancée, une entrée en couloir dans un parallélépipède figurant vraisemblablement un temple. La scénographie de Tom Pye est cependant de facture plutôt traditionnelle : Amonasro et les prisonniers éthiopiens sont poussés sur scène dans une cage à roulettes, Radamès y sera placé dès avant son jugement de l’Acte IV, le III est assez sobre et élégant, même si la proximité du Nil n’est pas évidente, et la scène finale évoque au mieux le tombeau dans lequel sont emmurés Aida et Radamès.
Les costumes de Kevin Pollard montrent davantage de fantaisie et de diversité : des trois pièces pour les messieurs au premier acte – avec nœud papillon doré, pantalon retroussé au mollet et sandales –, mais aussi des soldats en béret et, un peu plus tard, les inévitables CRS casqués, en rangers et protections corporelles. Les suivantes d’Amneris apparaissent en cape rouge, réversible en blanc. Pour la procession triomphale, les dames portent un large éventail de tenues noires pouvant évoquer aussi bien la date de création de l’opéra que les Années folles, avec dentelles, plumes, habits en lamé et des chapeaux sophistiqués. C’est à ce moment que la marche est traitée comme une cérémonie mortuaire : quatre cercueils sont portés par des soldats, les familles se désespèrent, des créatures rampent et tournent autour des morts, paraissant se nourrir de leur sang. Dans la chorégraphie de Basil Twist, les danseurs sont plutôt acrobates et gymnastes par moments, effectuant de nombreux portés pendant la soirée. Parfois coiffés de cornes ou de crânes d’animaux, ils sortent ventre à terre des voiles rouges immenses de la prêtresse en longs cheveux rouges et combinaison de couleur chair, une fois finies ses invocations.
Sans atteindre au révolutionnaire, le traitement visuel étonne favorablement dans son ensemble, même si l’on peut rester circonspect lors de la première apparition d’Amneris, en robe blanche et chevelure blonde bouclée, telle une Brünnhilde, puis Aida qui pourrait être le sosie de Carmen, brune aux boucles d’oreille créoles, en robe rouge.
La distribution vocale est nettement dominée par l’Amneris d’Anna Smirnova, voix très large et timbre somptueux qui en font certainement l’une des meilleures titulaires actuelles du rôle [lire nos chroniques de Nabucco et de Lohengrin]. La première scène du quatrième acte, avant et pendant le jugement de Radamès, ainsi que sa conclusion, constituent logiquement le sommet de la soirée, l’interprète paraissant complètement à l’aise dans le chant forte et un peu moins dans les passages plus éthérés. En comparaison, Serena Farnocchia compose une Aida de petit format, une voix un peu trémulante, avec un registre grave trop discret et un aigu précautionneux. Elle tient sa partie, y compris le difficile air du Nil, mais avec des fragilités et sans l’ampleur attendue pour le rôle-titre. En Radamès, le ténor Najmiddin Mavlyanov fait entendre des registres contrastés, un grave sensiblement décoloré, mais une séduction plus développée à mesure qu’il grimpe sur la portée, un médium méditerranéen et un suraigu qui claironne. Concernant le style, on reste dans la tradition, avec l’aigu final de Celeste Aida projeté à pleine puissance, sans diminuendo. L’Amonasro d’Alexeï Markov gratifie de son grain racé de baryton, voix pleine et saine, bien plus convaincant que l’été dernier en Scarpia l’été dernier [lire notre chronique du 4 juillet 2019, ainsi que ce celles de La dame de pique, La légende de la ville invisible de Kitège et Iolanta]. Liang Li (Ramfis) et Donald Thomson (Il Re) sont deux basses d’un beau potentiel ; on préfère le premier, instrument qui présente davantage de stabilité. La plaisante intervention de la Sacerdotessa de Claire de Sévigné est flattée par une acoustique favorable, dans le couloir du temple.
Une mention particulière est à adresser au Chœur du Grand Théâtre de Genève, préparé par Alan Woodbridge, souverain tout aussi bien sur les nuances les plus douces que lors des passages les plus expansifs, et ceci dans la plus grande cohésion d’ensemble. Tout comme les protagonistes et l’Orchestre de la Suisse Romande, il est placé sous la baguette experte d’Antonino Fogliani, chef dont on connaissait le grand renom dans le belcanto et qui défend aussi au mieux Verdi [lire nos chroniques de Maria Stuarda, Semiramide, Guillaume Tell et L'Italiana in Algeri]. Dès les premières mesures de l’Ouverture, d’une délicatesse absolue, on apprécie une qualité optimale qui se maintient jusqu’à la dernière note de l’ouvrage. Comme évoqué plus haut, le meilleur passage nous semble être la première scène du jugement de Radamès, en présence des deux meilleurs protagonistes de la soirée : une musique magnifique, avec un mordant encore plus développé sur les premières mesures et des nuances pianissimo un peu plus tard, Radamès dans sa cage géante entre deux feux qui brûlent dans des vasques de part et d’autre, et les prêtres qui défilent portant des flambeaux.
IF