Chroniques

par gilles charlassier

airs français par Marie-Nicole Lemieux
Fabien Gabel et l’Orchestre National de France

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 18 novembre 2010
© denis rouvre/ naïve

Curieux programme que celui présenté ce soir avenue Montaigne par l’Orchestre national de France sous la baguette de Fabien Gabel, avec Marie-Nicole Lemieux. Tandis qu’il est d’usage de commencer par une ouverture, le temps que les spectateurs prennent leurs aises, c’est un air brillant et absolument méconnu, Humble fille des champs, tiré de l’opéra non moins oublié de Jacques-Fromental Halévy, Charles VI, qui est servi en apéritif. Encore serait-ce une surprise raisonnable si la suite du concert révélait d’autres pages délaissées du répertoire français. Eh bien non ! Après cet effort de nouveauté, le mélomane peut retrouver des harmonies connues – on pourrait presque croire à une dramaturgie qui nous ferait passer de redécouvertes récentes à ce tube des tubes, la Habanera de Carmen.

L’air de Néris, Ah ! Nos peines seront communes, dans Médée de Luigi Cherubini, est une véritable pierre de touche de l’art du contralto. La couleur et la texture exigées trouvent en la Canadienne une interprète de premier plan, et une partenaire au solo de basson – deux éléments très novateurs pour ce numéro exceptionnel réservé à un second rôle. Après les représentations à l’Opéra Comique au printemps dernier [lire notre chronique du 10 avril 2010], c’est tout naturellement que le concert de ce soir, également produit en partenariat avec le Palazzetto Bru Zane [lire notre dossier], propose Connais-tu le pays de Mignon d’Ambroise Thomas. Avec cette diva, le souvenir un peu terne laissé par Marie Lenormand se délite de soi-même. Madame Lemieux fait résonner cet hymne à la terre italienne et à l’espérance avec une belle rondeur et un brillant charnu.

L’ouverture de Raymond fait partie de ces pages qui laissèrent une trace anonyme dans notre mémoire. Le titre de l’opéra doit certainement résonner dans le vide pour la plupart des amateurs de ce soir, mais le thème intérieur et mélancolique de la première section, conduit avec sensibilité par les clarinettes, et surtout la chevauchée de la seconde, avatar de celle du Guillaume Tell de Rossini, ne peuvent que réveiller des impressions laissées par la verve de la baguette de Leonard Bernstein. Fabien Gabel emmène avec enthousiasme l’ONF. Les violoncelles et les contrebasses cravachent leurs montures, lesquelles entraînent leurs voisins de pupitre dans ce rythme effréné de cavalerie.

Après l’entracte, la formation française fait montre de ses coloris et de ses rutilances dans la Suite n°3 extraite des Scènes dramatiques de Jules Massenet. De Werther, la scène de la lettre flatte la soliste de ce soir. La plénitude vocale se fait fort expressive dans l’imploration finale. Une tendresse remarquable affleure dans le défi, relayée par le solo de saxophone puis la trompette. Les dernières paroles, Tu les mouilleras de tes larmes, Charlotte, et tu frémiras, s’évanouissent dans la pénombre d’un mezza voce émouvant.

Il faut croire que la rébellion de l’amour est un passage obligé pour toute voix féminine grave. Le fruité du timbre de Madame Crémieux donne de beaux résultats dans la chanson de la bohémienne et coud une mante de séduction autour des oreilles du public. Le jeu – hélas ! - n’est pas toujours aussi heureux, et la voix de poitrine augmente plus une autorité ridicule que l’insoumission de Carmen. La mégère aussi est indocile – mais Don José sera peut-être moins sensible à la fleur qu’elle lui aurait jetée. L’interlude et la danse bohème grisent et l’orchestre et le chef, et Marie-Nicole Lemieux qui ajoute à l’ivresse des rythmes celle de tralalas enjoués.

En bis, la Québécoise livre un tentateur Mon cœur s’ouvre à ta voix - Samson et Dalila de Camille Saint-Saëns - et une offenbacherie qu’elle dédie à toutes les femmes : Ah, j’ai ma migraine et mes vapeurs. L’assistance comblée, nous nous interrogerons cependant sur le sens de la composition de ce programme. Les pages oubliées valent peut-être bien de le rester ; aussi, en les présentant en début de soirée, seront-elles plus aisément digérées…

GC