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Chroniques
airs italiens et français par Angela Gheorghiu et Jonathan Tetelman
Frédéric Chaslin dirige l’Orchestre national de Belgique
Un nouveau rendez-vous parisien apaise la rudesse hivernale avec le soprano Angela Gheorghiu. Pour le jeune ténor Jonathan Tetelman, c’est aussi le temps de briller plus haut, les deux chanteurs étant rejoints par l’Orchestre national de Belgique – une affiche très internationale. À travers les subtiles couleurs changeantes de la pièce instrumentale d’ouverture, Burlesca P.59 d’Ottorino Respighi (1906), s’observe déjà la belle cohésion obtenue par le chef. Un doux petit air printanier, le clair écho du cor, ceux des cuivres à travers le clignement des flûtes, le tout formant déjà un bel ensemble qui inclut de fracassantes percussions avant l’impression d’un mirage. Le climat s’est assombri, l’ambiance oscille entre vibration et vigueur jusqu’au finale glorieux, trompettes à l’appui.
L’entrée d’Angela Gheorghiu pour l’air Caro mio ben de Tommaso Giordani (1782) est correcte, comme si la prochaine apparition de Jonathan Tetelman ne pouvait qu’en étinceler davantage. Car la voix du ténor est boisée, capiteuse et véloce au cours d’un sommet, Ah, la paterna mano tiré de Macbet (Verdi, 1847). Belcantiste, la fin est saluée par une franche ovation. En délicatesse avec l’émission, la diva roumaine ne laisse pas le temps se faire désirer. À fleur de peau mais aussi puissante, la voix excelle dans le duo Ma dunque, e vero? d’Adriana Lecouvreur (Cilea, 1902), idéale. Dès lors, le public peut apprécier ces deux voix, aussi différentes dans leur évolution.
La soirée mettant à l’honneur l’art lyrique d’un versant à l’autre des Alpes, la musique française surgit par le grésillant prélude de Carmen, aussi connu qu’indémodable, bonne bouffée d’air pour les poumons mélomanes encrassés. Un soupçon d’espagnolade dans l’Aragonaise fait renaître l’étonnement à l’écoute du plaisant hautbois et d’un bonheur orchestral chaleureux comme une bouche de métro un soir d’hiver. À ces deux brèves incursions dans l’œuvre de Bizet (1875), provenant de la première des deux suites symphoniques produites par Ernest Guiraud, s’ajoute l’air La fleur que tu m’avais jetée par Jonathan Tetelman. Il reste du travail pour bien tenir le rôle en scène. Le soprano se sort un peu mieux d’une Habanera accélérée.
Le meilleur du programme arrive avec une plongée dans Tosca (Puccini, 1900). Il suffit de suivre, tout en adéquation, le pas et le thème de la cantatrice priant son Mario! pour comprendre ô combien elle habite le rôle, le débit un peu rapide, sous les couleurs magnifiques de l’orchestre. Voici une démonstration, le modèle d’une chanteuse dirigeant sa scène. Par sa présence et par la taille, Jonathan Tetelman répond en amoureux ardent sur ce long passage greffé d’étrange manière dans un récital qui court le risque typique des effets de frustration ou de répétition.
En effet, hormis la Danse des heures extraite de La Gioconda (Ponchielli, 1876), si vivifiante grâce à la baguette gourmande de Chaslin, les airs semblent se suivre et se ressembler de manière poussive. Ainsi la bravoure et le fondant du ténor dans Cielo e mar (du même opus) lui permettent de dépasser le style bellâtre. Avec beaucoup de naturel, un timbre très clair et une ligne toujours juste à travers toutes les audaces de Puccini, Angela Gheorghiu signe un In quelle trine morbide exquis et se montre une Manon sans âge (Manon Lescaut, 1893). Mais de La bohème (1896), le duo O soave fanciulla vire au raté, patinant tôt, comme pris dans une sauce épaisse qui tourne en vulgaire spectacle les déclarations des amants de Montmartre. De même, le romantisme est-il singé, notamment dans la fin lourdement trépignante de l’Ouverture du Roi d’Ys de Lalo (1878).
Pour les derniers airs français, la langue de Molière pose quelques problèmes dans Pleurez, mes yeux tiré du Cid (Massenet, 1885), mais le timbre chatoyant et l’émission limpide donnent toute satisfaction, comme la suavité à l’orchestre. Qui oublierait comment, le front haut, les mains jointes, le soprano héroïque confie de façon bouleversante la sublime déploration ? Pourquoi me réveiller est une grande réussite, d’un ton très séduisant, expressif et même évident. Jonathan Tetelman se doit donc d’incarner ce rôle (Werther, 1892), tant qu’ont cours les bons vœux pour 2023 ! Enfin, le duo Vicino a te s’acqueta extrait d’Andrea Chénier (Giordano, 1896) confirme la suprématie d’Angela Gheorghiu dans l’équilibre entre air et récitatif. Le naturel perce, heureusement lyrique, à travers toutes les poses de convenance sur la piste aux étoiles.
Chaleureux, les bis remportent plus d’ovations encore, à commencer par O mio babbino caro (Puccini, Gianni Schicchi, 1918), si doux, rêve éveillé plein de bonté. Vers enflammé et voix corsée, Jonathan Tetelman propose avec succès un peu de zarzuela, No puede ser de La tabernera del puerto (Pablo Sorozábal, 1936) alors que l’enfant d’Adjud se tourne vers la Roumanie natale avec Muzica, mélodie évocatrice de George Grigoriu. Pour conclure, un duo bravache : la chanson mexicaine Granada d’Agustín Lara (1932) vaut quelques pas de danse dans une ambiance folle.
FC