Chroniques

par bertrand bolognesi

Akademie für alte Musik Berlin, Attilio Cremonesi
Georg Friedrich Händel | Jephtha, oratorio HWV 70

Les concerts parisiens / Salle Gaveau, Paris
- 11 janvier 2006

Après un Israel in Egypt mémorable cet automne (lire notre chronique du 4 novembre 2005], Les concerts parisiens offrent cette fois Jephta, oratorio HWV 70 qu’Händel terminerait juste avant de vivre une définitive cécité. Écrite sur un livret de Thomas Morell, l'œuvre serait créée à Covent Garden durant l'hiver 1752. Prolongeant une exploration fructueuse de l'histoire biblique à travers ses notables faits d'armes, elle tient l'auditeur en haleine pendant près de trois heures.

Dès les premières mesures de l'Ouverture du premier acte, Attilio Cremonesi instille à sa lecture une saine tonicité, à la fois équilibrée et élégante, dont l'effervescence dramatique plonge dans l'urgence de l'argument. Les musiciens de l'Akademie für alte Musik Berlin répondent avantageusement à son souci d'appui sur des violoncelles musclés, à l'éclairage raffiné qu'il saura ménager tout au long de l'exécution aux nombreuses interventions des bois, malgré certains reposés d'archets plus que maladroits (dans la Sinfonia de l’Acte III, par exemple) et un pupitre de violons rarement juste.

À ces qualités d'ensemble, le chef conjugue un soin particulier accordé à la mise en valeur de chaque voix, ainsi qu'une dynamisation salutaire des forces chorales du Collegium Vocale de Gand. Le haut niveau de cette formation s'affirme une fois de plus à travers fluidité, lumière, diction, attributs que l'interprétation de Cremonesi transcende de nuances, de vivacité et de bondissements, en un mot d'une expressivité passionnante, jusque dans le sobre final du II.

Cinq solistes viennent raconter, illustrer et vivre la campagne de Jephtha, au fil d'une écriture plus opératique que le genre pourrait le laisser supposer (c'est souvent le cas avec Händel). Le timbre généreusement sonore à la projection confortable du baryton Reuben Willcox campe efficacement le rôle de Zebul, mais un chant gentiment appliqué sans investissement interprétatif notable, des vocalises alourdies et parfois imprécises, une confiance peu délicate accordée au volume plutôt qu'à l'art, n'offrent qu'une prestation correcte. Ingeborg Danz, au contraire, habite Storgè d'un timbre chaleureux dont la subtile expressivité use de grandes nuances, d'autant servies par une exemplaire gestion du souffle. Son approche s'avère toujours sensible, jusqu'à se fondre dans la couleur du violoncelle (Acte I, Scène 5). Regrettons toutefois un Scenes of horror, scenes of woe trop poli (même passage) et la confidentialité excessive de Let other creatures die ! (Acte II, Scène 3). Sibylla Rubens est idéalement distribuée en Iphis, rendant à cette partie toute sa clarté. Dans le duo du premier acte (avec Hamor), les aigus paraissent cependant étroits, notamment dans le da capo, mais le chant se bonifie dans par la suite. En tout cas, le couple amoureux fonctionne parfaitement, le partenaire étant magistralement tenu par Robin Blaze au style fascinant. Si le bas-médium manque de corps, le reste de la tessiture est superbe, la nature même du timbre diablement séduisante et la conduite d'une souplesse stupéfiante.

Enfin, l'incarnation du rôle-titre demeure plus problématique : le ténor Agustin Prunell-Friend conjugue ici des caractères étrangement antagonistes. La couleur de sa voix souffre d'une agressivité souvent disgracieuse, d'une nasalisation presque irritante, et l'organe affirme un grave trop léger. Ce qui surprend le plus est que l'artiste mène irréprochablement son chant, affirme une belle agilité, une finesse de nuances bienvenue, élevant jusqu'au brio son interprétation. Alors, que penser ? Que ce chanteur sait intelligemment user de ce qu'un plus candide oserait moins montrer.

BB