Chroniques

par bruno serrou

Alban Berg, opus 6 et 4
Orchestre Philharmonique de Radio France

Christiane Oelze, Rudolf Buchbinder, Pablo Heras-Casado
Salle Pleyel, Paris
- 11 mars 2011
Christiane Oelze chante Alban Berg avec le Philhar' de Radio France
© natalie bothur

Cette saison, les concerts des grandes phalanges parisiennes sont de plus en plus courts. Particulièrement ceux de nos formations radiophoniques. Il est vrai que Marc-Olivier Dupin, ex-directeur de la musique de Radio France, considérait que le public d’aujourd’hui ne pouvait guère se concentrer plus de soixante-quinze minutes…. Il n’empêche que ce vendredi l’Orchestre Philharmonique de Radio France présente un programme viennois passionnant, associant un sommet de la musique concertante et deux partitions phares de la Vienne du début du XXe siècle.

En première partie, le Concerto pour piano en mi bémol majeur Op.73 n°5 « l'Empereur » de Beethoven, composé en 1809, séduit par l’interprétation magistrale, les sonorités pleines et musclées qu'exalte le pianiste autrichien d’origine tchèque Rudolf Buchbinder. Mais la direction de Pablo Heras-Casado s’avère un peu trop sèche, amenuisant ainsi la geste puissante et l’énergie intrinsèque de l’œuvre, somptueusement mise en exergue par le soliste.

Le chef espagnol s'impose, en revanche, dans les deux œuvres pages d’Alban Berg, trop rarement jouées (du moins à Paris) : les Altenberg Lieder Op.4 et les Trois pièces pour orchestre Op.6. Composé en 1911-1912, ces cinq Lieder illustrent des textes de cartes postales du poète des cafés viennois Peter Altenberg (1859-1919) qui décrivent la nature conflictuelle mais sublime de l’âme et les sensations tangibles de l’amour et de la nostalgie. Berg y fait appel à un grand orchestre, indubitablement marqué par les Gurrelieder (1901-1911) de Schönberg, dont il était alors l’élève, et Le chant de la terre (1908-1909) de Mahler. Chaque épisode est construit de façon symétrique, commençant et finissant de façon comparable, et s’appuie sur les formes canon, passacaille et variations. Berg utilise aussi un langage tonal élargi qui inclut l'utilisation d'échelles par tons entiers et le total chromatisme.

Offert le 8 septembre 1914 par Berg à son maître Schönberg, lui-même auteur des Cinq pièces pour orchestre Op.16 (1909), l’opus 6 (1913-1914) se situe dans l’héritage direct de Mahler, notamment de la Sixième Symphonie (1903-1904) dans la troisième pièce, et préfigurent l’opéra Wozzeck Op.7 (1915-1922), particulièrement la deuxième, où l’on trouve esquissée, entre autres, la scène du bal. À l’instar des Altenberg Lieder, l’orchestre est rarement sollicité dans ses tutti, tandis que les nombreux solos suscitent d’époustouflantes mélodies de timbres que Schönberg cristallisera dans ses Variations pour orchestre Op.31 en 1928. L’on y pressent également la quête future de Bernd Aloïs Zimmermann (1918-1970), le plus formellement bergien des compositeurs de la seconde moitié du XXe siècle, particulièrement dans son opéra Die Soldaten (1957-1965)1.

Le soprano allemand Christiane Oelze [photo] chante ces pages avec sensibilité, son timbre se fondant délicatement avec les sonorités chaleureuses du Philhar’, lui-même stigmatisé dans les Trois pièces Op.6 par la direction fébrile de Pablo Heras-Casado.

BS

1 Laurence Helleu
Les soldats de Bernd Alois Zimmermann, une approche scénique
Édition Musica Falsa, 2010