Chroniques

par emmanuel andrieu

Alceste
tragédie en musique de Christoph Willibald Gluck

Festival d’Aix-en-Provence, Théâtre de l’Archevêché
- 6 juillet 2010
Christoph Loy met en scène Alceste de Gluck au Festival d’Aix-en-Provence
© pascal victor | artcomart

« Grotesque, honteux, absurde ! », voilà comment un spectateur du parterre manifeste bruyamment son mécontentement en plein milieu du premier acte. Il est vrai que la mise en scène de Christoph Loy, un des trublions de la scène artistique allemande du moment, n'y va pas avec le dos de la cuillère, prenant des libertés souvent préjudiciables à une production par ailleurs admirable.

Partant du principe que dans son premier récitatif, Faibles enfants, Alceste s'adresse autant aux siens qu'au peuple tout entier, Loy transforme le chœur, soit les Thessaliens, en bambins d'une paroisse anglicane du XXe Siècle, en culottes courtes, avec doudous et autres cerceaux à la main. Au moment de la scène des offrandes, des ballons et des globes terrestres sont offerts aux divinités. La scène des enfers est transposée dans le grenier du palais royal encombré de marionnettes. Quant à la scène finale, elle montre l'héroïne en nuisette et socquettes lors même qu'elle se trouve aux portes de ces mêmes enfers... Autant dire que cette vision anecdotique et tellement réductrice du chef-d’œuvre de Gluck – et du livret de Calzabigi – tourne vite court et que les spectateurs décrochent vite de ce fatras improbable. Par ailleurs, si Loy sait remarquablement animer le chœur, omniprésent sur scène tout autant que très sollicité vocalement, il n'en va pas de même des solistes, souvent livrés à eux-mêmes. Enfin, si la musique de ballet est conservée, il ne nous propose rien à voir pendant ces interludes musicaux, le plateau restant statique.

Ce sont donc les voix, le chœur et l'orchestre, tous dignes des plus vives louanges, qui sauveront la soirée. Et en premier lieu, l'incandescente et inoubliable reine de Véronique Gens. Après ses toutes récentes prises de rôles des deux Iphigénie de Gluck à La Monnaie de Bruxelles, le soprano français incarne une Alceste souveraine dans l'accent comme dans le geste, avec la noblesse et la grandeur d'âme qui sied au personnage – un des rôles les plus redoutables du répertoire lyrique. Qu'admirer le plus chez cette chanteuse, entre une diction exemplaire, une ligne de chant parfaite, une voix prodigieusement égale sur toute la tessiture, un timbre de toute beauté et surtout un investissement scénique et émotionnel bouleversants ? Après les Callas, Gencer ou encore Verrett, la Gens entre à son tour au panthéon des grandes titulaires du rôle.

Le ténor canadien Joseph Kaiser campe un magnifique Admète. Doté d'un physique avantageux et d'un maintien très noble, il livre un roi héroïque d’une voix à la fois claire et puissante, à la prosodie française impeccable et au chant constamment raffiné. On croit à ses ardeurs tout autant qu'à ses désespoirs, en formidable acteur qu'il est, sa jeunesse, sa fougue et sa sensualité faisant le reste pour gagner le cœur de sa reine... tout autant que celui du public.

En grand prêtre, le baryton américain Andrew Schroeder continue, quant à lui, de décevoir, comme dans ses dernières prestations vocales entendues ici et là, avec une voix de plus en plus engorgée qui s'empâte dangereusement, un timbre qui perd de son éclat et un français souvent fâcheux. Dans sa partie, l’on aurait préféré entendre l'excellent Thomas Oliemans qui interprète un Hercule fantasque à la voix autoritaire et au jeu savoureux. Les autres personnages sont très bien caractérisés par Marianne Folkestad Jahren et Bo Kristian Jensen, dans le rôle des enfants, ainsi que par Joao Fernandes, remarquable de musicalité en Coryphée et en Apollon.

Créé il y a quatre ans par Tim Brown, le formidable chœur anglais English Voices obtient un triomphe mérité aux saluts, après avoir fait preuve d'une cohésion, d'une discipline et d'une homogénéité admirables, s'exprimant dans un français particulièrement châtié. En outre, les artistes s’avèrent remarquables comédiens, convaincants dans la palette des affects exprimés – d’autant que cette production leur demande beaucoup, comme nous l'avons déjà précisé.

Enfin, comment ne pas reconnaître que le Freiburger Barockorchester est bien un des deux ou trois plus beaux orchestres baroques au monde ? Sous la battue inspirée et habitée du chef anglais Ivor Bolton, la formation allemande crépite et frémit avec d'infinies variétés dans les nuances et les couleurs, atteignant un parfait équilibre entre grandeur classique et vibration intérieure.

EA